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plaisir que vous êtes en bonne santé ; moi, je suis de même pour le présent, et je prie le Seigneur de nous la continuer à tous… » Plus généralement, s’ils parlent de Dieu, ils le républicanisent sous le nom de l’Être Suprême. Et Colin, Lépreux aîné sont hardis jusqu’à se railler de « tous les saints (ci-devans) du soi-disant Paradis. » Terribles garçons, ces Colin et Lépreux aîné ! Entre deux batailles, ils écrivent à leurs amis de la Société populaire, à Saint-Jean de Losne : « La ville de Strasbourg va divinement ; la guillotine est toujours en activité… » Ils ajoutent qu’elle fait des miracles et convertit bien du monde. Mais, tout ça, c’est de la politique, qu’ils ont prise à Saint-Jean-de-Losne et qui leur traîne dans l’esprit. Des mêmes, voici beaucoup mieux : « Nous vous avions promis des nouvelles. Crions tous : Vive la République ! Victoires sur victoires, frères et amis ! les Français sont à Worms, peut-être à Mayence ; le butin qu’ils ont attrapé monte à plus de deux cents millions, sans compter les canons, bagages, prisonniers, etc. Nous sommes bien fâchés de ne pouvoir vous annoncer la prise du Fort-Vauban ; nous espérons vous l’apprendre bientôt, car l’on doit donner aujourd’hui une attaque générale… » Du reste, ils vont un peu vite : le 16 nivôse an II, les Français n’étaient ni à Mayence, ni à Worms. Seulement, au Geissberg et à Frœschwiller, Hoche venait de remporter ces éclatans succès qui aboutirent, quelques mois plus tard, à la reprise de l’Alsace. Colin, Lepreux aîné sont des patriotes qui n’attendent pas : et ils devancent la victoire. On leur dit bien que la garnison de Fort-Louis a juré de mourir dans la place. Ils répondent : « A quoi sert le serment des esclaves contre la valeur des républicains ? » Et, en fait, les Autrichiens de Fort-Louis (ou Fort-Vauban) ne coururent pas les risques d’un siège : ils s’esquivèrent, promptement. Lépreux et Colin, voyez-les : « Quant à nous, républicains et amis, comptez sur notre zèle. S’il fallait aller aux antipodes pour le bien de la république, croyez que nous sommes prêts à partir et que rien ne peut nous écarter du chemin de vrais républicains ! » Ils confondaient la république et la patrie de telle sorte que leur république en est embellie singulièrement. Cette confusion qui, dans le langage et dans les sentimens de nos concitoyens, ne s’est pas maintenue, — il serait trop long de dire pourquoi, — donne aux lettres de ces volontaires un petit air démodé, souvent drôle. Par exemple, l’un d’eux, un artilleur, écrit que nos mortiers « travaillent en républicains ; » et un autre, au bivouac en avant de Verchem, le 2 nivôse an II : « Nous couchons dehors tous les jours et la vermine nous mange, mais c’est pour la république ! »