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relatent des souffrances dont nous savons que pâtissent nos défenseurs nouveaux. « Des volontaires ont eu les pieds gelés, vu la rigueur du temps… » C’est un lieutenant du cinquième bataillon de Maine-et-Loire qui écrit cela de Metz, le 22 nivôse an III, à la citoyenne veuve Michel, sa mère, marchande de quincaillerie à Angers. La guerre est, de tous les côtés, extrêmement pénible et, par exemple, au Nord où les Impériaux ont l’insupportable marne de se terrer comme des lapins, comme des taupes. Le volontaire Brault s’en plaint, un jour qu’avec un détachement de dragons, deux bataillons d’infanterie, quatre pièces d’artillerie et cinquante soldats de la Carmagnole, il est parti de Bergues pour assiéger Rousbrugge, à trois lieues de là. Il croyait aller vite ; mais, baste ! les Impériaux avaient fait des tranchées « de vingt pas en vingt pas sur leur terrain, tout le long de la grande route… » On leur « remplit » leurs terriers et l’on passa. Puis on dut se mettre à l’eau, deux fois, pour franchir des rivières dont ils avaient abîmé les ponts. Et alors ? Alors, « les Impériaux avaient encore fait de fortes tranchées, d’où ils pouvaient avec vingt hommes nous tuer sans que nous puissions seulement en voir un seul… » Ces vils procédés de combat déconcertent nos volontaires. Et, pour se faire mieux comprendre de ses parens, Brault, qui est de Mayenne, leur dit : « Imaginez-vous que le pont de Mayenne a l’arche du milieu coupée, et qu’on a fait des retranchemens à hauteur d’homme au bout du pont, du côté de la ville, et que deux mille hommes soient au Saint-Esprit pour assiéger la ville. Voyez si trente hommes, qui ne risquent pas d’être blessés, ne sont pas capables de les retenir et d’en détruire un grand nombre s’ils osent approcher : telle était cependant notre situation ! » Comment se tirer de là ? Le commandant général leur exposa que, pour être vainqueurs, ils n’avaient qu’un moyen : « agir de témérité. » Si l’on s’amusait à tirailler, les volontaires ne tueraient personne et les Impériaux tueraient tout le monde. Il fallait jeter sur le pont quelques planches et, la baïonnette au canon, « entrer d’autorité. » C’est ce qu’on fit. Et l’on se dépêcha. Une planche jetée sur le pont, les [soldats n’attendent pas qu’il y en ait une autre. Ils passent ; le commandant du bataillon, d’abord ; tous les soldats après lui. Une planche qui n’avait pas huit pouces de largeur : « On ne pouvait passer qu’un et un ! » Certes, il périt là toute une jeunesse ; et le commandant général eut la cuisse cassée, « dont il est mort. » C’est un malheur ; mais, si l’on avait barguignera ville serait encore à prendre. Ce que les volontaires de 1792 supportent mal, nos soldats aujourd’hui le supportent : la lenteur des