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5e de ligne, sous les ordres du commandant Delessart. Elles gagnent La Mure, avec la mission de faire sauter le pont de Ponthaut, à quelques kilomètres en avant du bourg, pour barrer la route à l’armée impériale. Mais, devant les objections du maire, le manque d’enthousiasme des soldats et l’annonce que l’avant-garde ennemie occupe déjà les lieux, Delessart juge prudent de replier ses troupes jusqu’à Laffrey et de les poster à l’endroit où le défilé est le plus facile à défendre.

Cambronne était arrivé à La Mure presque en même temps que Delessart ; et les gens du pays eurent, pendant un moment, le spectacle curieux des sous-officiers du roi préparant, à l’hôtel de ville, leurs billets de logement à côté des fourriers de l’empereur. Mais comme Cambronne n’avait avec lui que quelques hommes, il préféra ne pas coucher à La Mure et revenir sur ses pas jusqu’à Ponthaut, craignant que le départ du 5e de ligne ne masquât un mouvement tournant qui l’aurait coupé du gros de la colonne. Le lendemain matin, lorsqu’il apprend, au contraire, que les troupes de Grenoble se sont retirées vers Laffrey, il rentre à La Mure au milieu des acclamations. Quelques heures après, Napoléon paraît, entouré de son état-major et de grenadiers qu’escorte un peloton de chevau-légers polonais. L’enthousiasme déborde. Un piquet de soldats doit maintenir à distance les paysans. L’empereur s’entretient avec le maire et les notables qu’il n’a nulle peine à conquérir entièrement. Il s’enquiert des besoins de la commune et du canton, de leurs désirs personnels. Déjà il parle, il agit en souverain. Pourtant une inquiétude se trahit sur son visage. Le temps presse et il s’attarde. Quand il se décide à repartir, il fait mener son cheval à la main et monte en voiture. Sans doute veut-il se recueillir et se reposer : il sent qu’il va lui falloir toute son énergie. Après tant d’heures de captivité et de race impuissante, il commence à entrevoir la délivrance. Jusqu’ici, tout a réussi, mieux que ses plus optimistes pronostics ne lui permettaient de l’espérer ; mais les obstacles sérieux vont seulement se dresser. Si, ce soir, il était de nouveau prisonnier, ce serait l’écroulement final, irrémédiable, définitif… Avec quelle anxieuse avidité, il regarde le paysage sévère et triste qui l’environne ! Un soleil pâle luit dans les cieux froids. Les petits lacs de Pierre-Chàtel et de Pétichet ont un air hostile… Vivement, il se ressaisit. Ces montagnes, ce sont les Alpes d’où,