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ligne téléphonique les reliait à la grande minoterie de Dixmude située à l’entrée du Haut-Pont et dont la plate-forme en ciment armé nous offrait un excellent observatoire. L’épaisseur de ce massif de béton, aussi coûteux que disproportionné à l’importance de l’établissement, mais très propre à recevoir de l’artillerie lourde qui battrait de là toute la vallée de l’Yser, ne laissait pas d’inspirer certaines réflexions : c’est peut-être une des rares occasions où les préparatifs de l’ « avant-guerre » auront tourné contre leurs auteurs. La compagnie des mitrailleuses se tenait à la croisée des routes de Pervyse et d’Oudecappelle ; dans les tranchées de l’Yser nous avions surtout des troupes belges ; au Sud enfin, un corps de cavalerie française[1], parti de la forêt d’Houthulst, lançait une pointe hardie sur Clercken et nous soulageait un peu de ce côté, sans parvenir à enrayer l’offensive allemande qui se déployait en force à quatre heures de l’après-midi.

Suivant son habitude, l’ennemi avait commencé par préparer le terrain à l’aide de son artillerie, qui, du plissement où elle s’était défilée, aux abords d’Eessen, à l’Est de Dixmude, nous couvrait des projectiles de ses canons de 10 et de 15 centimètres. À peine les derniers flocons des batteries allemandes s’étaient-ils dissipés que l’infanterie attaqua : l’action fut assez chaude et se prolongea pendant toute la nuit et la matinée du 17, avec des alternatives violentes d’avance et de recul. L’ennemi, désireux d’en finir d’un coup, se présentait en masses compactes dans lesquelles nos mitrailleuses et nos feux de salve ouvraient des brèches sanglantes. Ces bastions mouvans oscillaient pendant quelques secondes, rebouchaient leurs brèches et revenaient en formations aussi serrées qu’avant. Aucun réseau de fils barbelés ne protégeait les abords de nos tranchées ; la plupart n’avaient ni toit, ni créneaux. Dans ces installations de fortune, le succès de la résistance dépendait uniquement de l’intrépidité des hommes et de l’adresse du commandement. Quelques « élémens » furent perdus, repris, perdus et repris encore. Mais, dans l’ensemble, notre ligne se maintint : l’ennemi ne put pénétrer dans la défense. Au petit jour, découragé, il suspendit

  1. C’est ce corps qui gardait la route de Fumes et l’Yser entre Loo et Nieucappelle, où il fut remplacé, peu après l’affaire de Beerst, par le 87e territorial. Avec une magnifique audace, le général d’Urbal, avant même d’être en possession de toutes ses forces, le lançait dans de grands raids qui troublaient l’ennemi.