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noircies, les stigmates d’un commencement de martyre. Mais son pouls continue de battre et, autour d’elle, dans cette grande serre à ciel ouvert qu’est la banlieue gantoise, l’automne a rassemblé toutes ses magnificences florales : « Nous traversons des champs de bégonias, superbes, dans lesquels nous allons peut-être mourir, » écrit le fusilier R… Mourir dans les fleurs, comme des jeunes filles, l’étrange aventure pour des marins tels qu’on se les représente d’ordinaire, — en bourlingueurs d’océans aux faces cuites par l’embrun ! Mais la plupart des recrues que voici ressemblent si peu à ce cliché ! Elles ont des yeux clairs dans des visages à peine hâlés ; les Marie-Louise n’étaient pas d’un âge plus tendre. Et comme, avec leur dandinement léger, ce je ne sais quoi de féminin et de coquet dans le précoce épanouissement de la vigueur musculaire, on s’explique le surnom que leur décernera la lourdeur teutonne, troublée comme à l’apparition de Walkyries adolescentes : les demoiselles au pompon rouge[1] !… L’amiral, qui vient d’inspecter le terrain, confère sur place avec ses lieutenans : une fraction du 2e régiment (commandant Varney) ira se poster entre Gontrode et Quadrecht et laissera un bataillon en réserve au Nord de Melle ; une fraction du 1er régiment (commandant Delage) se portera entre Heusden et Goudenhaut et laissera un bataillon en réserve à Destelbergen. Lui-même garde sous la main, en réserve générale, au carrefour de Schelde, où il installe son poste de commandement, le reste de la brigade, soit deux bataillons et la compagnie de mitrailleuses. Les convois, sauf les ambulances sous la direction du médecin en chef Seguin, demeureront à l’arrière, aux portes de Gand. Précaution indispensable pour un repli rapide, mais que l’amiral entend bien n’exécuter qu’après avoir suffisamment étalé le choc de l’ennemi.

Grâce à nos renforts, les troupes belges ont pu donner toute l’extension désirable à leur front en occupant Lemberge et Schelderode. L’artillerie de la 4e brigade mixte, en batterie vers Lendenhock, tient sous son feu les débouchés de la plaine. Aucune troupe ennemie n’est en vue. Mais on sait, par les rapports des cyclistes belges, que les avant-gardes allemandes ont

  1. « Ah ! les bandits ! Nous leur inspirons une terreur sans pareille. Aussi nous ont-ils surnommés « les oiseaux noirs, » les » tirailleurs bleus » et puis « les demoiselles au pompon rouge. » Va pour les demoiselles au pompon rouge ! En tout cas, ils ont senti nos coups de crosse. » (Lettre du fusilier A. C…, du Palais.)