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persuadera à un homme sensé, dégagé de tout intérêt personnel et isolé des sophismes politiques, que, dans un pays qui a des chemins de fer, des télégraphes et des téléphones, il est nécessaire, pour la même étendue de territoire, d’entretenir le même nombre de fonctionnaires qu’à l’époque où l’on voyageait en diligence et où une lettre, — seul mode de correspondance connu, — mettait huit jours pour aller de Calais à Marseille. Or, tous les fonctionnaires en surnombre sont une double ruine pour le pays, puisque, d’une part, il faut les payer et que, d’autre part, ce sont des cerveaux et des bras enlevés à l’agriculture, au commerce, à l’industrie.

Ces considérations sont trop évidentes pour ne pas avoir frappé souvent les hommes d’Etat ; mais, quand on a voulu réaliser la réforme, on s’est toujours brisé contre la coalition des intéressés et des influences de clocher. Il s’est rencontré pourtant un président du Conseil qui, il y a une vingtaine d’années eut le courage de constituer une Commission dite de décentralisation, avec mission de rechercher les simplifications et les économies que pouvait comporter notre organisation administrative. Parmi les membres de la Commission, il y en eut une dizaine qui eurent la fantaisie de travailler sérieusement. Au bout d’un an, ils avaient élaboré un plan de réformes hardies et pratiques qui eût abouti assez rapidement à de réelles économies. Les circonstances n’ont pas permis jusqu’à présent de réaliser les vœux de la Commission : celle-ci est depuis longtemps dissoute, mais son œuvre subsiste encore ; si quelqu’un de nos lecteurs était curieux de consulter ces projets et documens, nous pouvons lui indiquer la retraite où ils ont été confinés, loin des yeux du public : par une sorte d’ironie, le Gouvernement a décidé que les archives de la Commission de décentralisation seraient versées au Conseil d’Etat, et les sceptiques n’ont pas manqué de rappeler que le Conseil d’État passe pour être la « forteresse de la centralisation, » le mot est d’un décentralisateur fameux, M. Raudot. Nous pouvons affirmer pourtant que, parmi les membres du Conseil, il s’en trouverait plus d’un pour défendre un plan de réformes qui allégerait les charges de l’État, tout en rajeunissant et en fortifiant l’administration française. Le moment ne va-t-il pas être opportun ? En 1915, il est probable qu’on modifiera profondément la carte d’Europe : excellente occasion pour refondre la carte de France.