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redoutable, de s’entendre à tout prix…, même au prix de l’abandon de nos droits les plus sacrés et de nos plus chères espérances. L’honneur de notre génération a été de résister à ces honteuses suggestions, estimant qu’il y a une chose pire que la douleur de la défaite, c’est la lâcheté de la résignation.

Il faut pourtant reconnaître que, dans ces éloges hyperboliques décernés à nos ennemis, il y avait une part de vérité. Pendant quarante ans, ce peuple rapace, ce parvenu de la fortune, aiguillonné par un orgueil fanatique, a accumulé, en même temps que les plus redoutables instrumens de mort, tous les instrumens de la vie industrielle et commerciale. Des milliers d’usines, d’ateliers, de fabriques sont sortis de terre ; d’innombrables voies ferrées Ont sillonné le vaste empire ; des centaines de vaisseaux ont promené le pavillon allemand sur toutes les mers. De cet outillage formidable, de cet immense effort, a surgi, lourd et imposant comme la Germania elle-même, le colosse industriel dont on peut mesurer la grandeur par un chiffre : 24 milliards d’exportation. Quelques-uns disaient bien qu’à côté de cette prospérité apparente on pouvait noter des signes inquiétans : tous les bénéfices étaient au fur et à mesure engagés dans des affaires nouvelles, et les réserves ne paraissaient guère proportionnées à l’importance des capitaux risqués dans des entreprises aléatoires. Il y a peu de temps, une crise générale, qui ne fut liquidée qu’avec de grosses pertes, avait suscité de vives inquiétudes et fait entendre un premier son d’alarme. Cette masse reposait-elle sur une plate-forme vraiment inébranlable ? Le colosse n’avait-il pas des pieds d’argile ? Mais on répondait que l’industrie allemande avait comme sauvegarde la solide armature de sa puissance militaire : si de nouvelles crises venaient à surgir, on aurait un moyen infaillible de les résoudre : la victoire !

Voyons ce qui en est aujourd’hui. En quelques semaines, plus de quatre cents bâtimens allemands ont été capturés ; l’Allemagne a perdu ses colonies et les points d’appui de sa flotte ; la maîtrise de la mer appartient sans conteste aux Alliés : les routes de l’Océan conduisant les matières premières-en Allemagne et en ramenant les produits fabriqués sont barrées : le commerce extérieur allemand est d’ores et déjà frappé de mort. Bientôt ce seront de nouveaux désastres et de nouvelles ruines. Sur mer, le blocus se resserrera de plus en plus ; sur