Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
816
REVUE DES DEUX MONDES.

récolta le grain qu’il avait semé, mangea son pain, vécut sa vie, que celles où il enfourna pour l’envahisseur ou le garnisaire. Il y avait alors une souveraineté impériale et une intégrité germanique comme il pouvait exister, hier encore, une intégrité marocaine et une souveraineté chérifienne : comme le Maroc d’hier, l’Allemagne d’alors, faute d’être une nation, n’était qu’un champ de bataille où l’autonomie des « caïds » et le « droit de voisinage » mettaient aux prises toutes les ambitions du dedans et du dehors.

La guerre, toujours la guerre, rien que la guerre, fut le fruit allemand de tous les régimes que l’Allemagne acclimatait du dehors et qui produisaient au dehors autre chose que la guerre ! Guerre civile, guerre familiale, guerre religieuse, guerre princière, guerre étrangère : entre les formes différentes de la bataille humaine, ces différens régimes ne laissaient à l’Allemagne que le choix ou le cumul. Du Carolingien au Hohenzollern, l’Ancien Empire (800-1250) et le Grand Interrègne (1250-1870) donnaient à la Germanie et à l’Europe dix ou onze siècles de violences. En 1913, après quarante années de paix armée, M. de Bülow prédisait que le Nouvel Empire leur donnerait une nouvelle explosion de cette « politique résolument nationale. » En 1914, le petit-fils de Guillaume le Grand ajoutait à la longue liste des formes de guerre allemandes un nouveau spécimen : la guerre mondiale. L’Empire romain avait trouvé sa devise dernière dans l'Unanimitas pacis romanœ, dans l’Unanimité de la paix romaine. Il semble qu’aujourd’hui l’Empire germanique, après onze siècles de grandeur, de décadence et de renouveau, ait enfin découvert la sienne : Unanimitas belli humani, l’Unanimité de la guerre humaine.

Victor Bérard.