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arabe et byzantine : les arts et les sciences de l’Italie et de la France y gagnaient chaque fois. La Croisade contre les païens ne ramena au sein du germanisme que tribus sauvages et mœurs barbares ; elle n’entretint chez le Germain qu’appétits de conquête. Après d’inutiles, mais généreux exploits, la chevalerie latine revint plus chevaleresque de Terre-Sainte ; la chevalerie teutonique est restée jusqu’à nos jours dans ses acquisitions de l’Est, comme une milice énergique, mais hautaine, avide et détestée ; de l’Elbe au Niémen et jusqu’à la Duna, elle est toujours la semeuse de haines entre les nations, la servante et la bénéficiaire du militarisme prussien pour l’exploitation des autres races.

Quant à la morale chrétienne et à la hiérarchie ecclésiastique, elles devinrent tout d’abord un excellent outil de Kultur et d’organisation impériales. Durant les deux premiers siècles et sous les deux premières dynasties de l’Ancien Empire (800-1024), elles eurent comme le monopole dans la formation d’une conscience et d’une autorité germaniques. Mais, par-là même, elles privèrent l’Allemagne d’une nation véritable, en privant ses peuples de ce « sens de l’Etat » que la Rome païenne avait transmis à tous ses disciples. En Allemagne, toutes les théories et toutes les applications du droit impérial devinrent d’Eglise, et non d’État ; l’Allemand devint un bon chrétien peut-être, mais non pas le citoyen, l’animal politique qu’avait façonné le paganisme. Les germanisans ont raison d’opposer au droit laïque des Romains le droit chrétien de Germanie : le droit pour les Latins émane de l’État et de la volonté du peuple ; il est toujours considéré par les Germains comme une manifestation de la volonté divine. Onze siècles après Charlemagne, M. de Bülow trouve encore dans ce manque de sens politique l’une des pires faiblesses de tout Empire allemand.

En outre, si l’Église fut domestiquée, exploitée, violentée et corrompue par la barbarie de l’Empire durant ces deux premiers siècles de servage, elle prit sa revanche durant les deux siècles suivans, contre les deux dynasties franconienne et souabe (1024-1250) : au nom de la morale chrétienne, elle leur fit la Querelle des Investitures, puis, au nom des libertés ecclésiastiques, le procès de la Monarchie universelle ; la dynastie des Franconiens fut victime de la première ; la dynastie des Hohenstaufen succomba sous le second. Au bout du compte,