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d’elles revendiqua pour son chef la royauté commune et entendit que le regnum devint électif à son profit. Prétentions inconciliables… On en arriva néanmoins à ce que le roi de Germanie fût élu, et c’est l’élection par la foule ou par les princes qui lui permit d’accéder « au royaume paternel suivant le droit héréditaire, » jure hereditario paternis eligitur succedere regnis, dit, en une formule incompréhensible à nos cerveaux latins, l’un de ces Germains qui ont toujours excellé à concilier les contradictoires.

Aussi le résultat du regnum pour la Germanie, c’est quatorze siècles de guerres intestines, non seulement de guerres civiles entre les peuples ou les maisons, qui se disputent l’élection à la commune royauté, mais encore de guerres familiales, de guerres parricides entre les membres de la famille royale, frères contre frères, père contre fils, qui se disputent le commun héritage. La guerre parricide surtout, qui est la très rare exception dans la lignée des rois de France, devient la règle dans toutes les dynasties du royaume germanique : des fils de Louis Ier le Carolingien aux fils d’Henri IV le Franconien, au fils de Frédéric II le Souabe, au neveu d’Albert l’Autrichien, l’histoire de l’Ancien Empire en est tissue, et, trente ans après la fondation du Nouveau, même après l’installation de l’hérédité la plus fixe, un Guillaume II de Hohenzollern, se jetant sur la couronne par-dessus le corps de sa mère et voulant arracher une abdication à son père moribond, rentre dans la tradition germanique, qu’ont à peine adoucie dix siècles de Kultur, et qu’aujourd’hui son fils est tout disposé, nous dit-on, à reprendre contre lui.

Comparez de même les résultats de l’imperium à l’intérieur et en dehors des frontières allemandes. C’est de Rome que les Carolingiens le reçurent. Trois cent vingt-quatre ans (476-800) après que les Barbares avaient supprimé l’Empereur d’Occident, la res publica chrétienne conservait à Rome sa capitale occidentale et son chef spirituel, le Pape. Mais disloqués par les Invasions en de multiples regna germano-latins, la chrétienté, qui s’était donné en chacun des rois un avoué de ses intérêts locaux, n’avait plus pour défenseur de ses intérêts généraux que son Souverain Pontife. Or, après deux ou trois siècles de luttes inégales, le Pape se sentait impuissant à écarter de la Cité Chrétienne les assauts de l’Islam, à maintenir la morale et la discipline chrétiennes contre les corruptions de la barbarie, à sauve-