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pas de place dans l’Empire allemand pour de libres particuliers, pour des citoyens : l’Empire ne peut avoir, ne doit avoir que des soldats. La loi civile est, dans le monde, le lien d’autres États ; même à l’intérieur de l’Empire, elle est le lien de certains États allemands, en particulier des États du Sud, qu’ont civilisés leurs origines celtes, puis le voisinage séculaire et la domination des peuples latins. Mais c’est la seule discipline militaire qui lie et peut lier les sujets de l’Empereur. L’Empire allemand n’est toujours qu’une armée sur le pied de paix ou sur le pied de guerre ; retrempé par la guerre, il est toujours amolli et menacé de dissolution par la paix.

Aussi quand l’Empereur n’est pas en campagne contre les résistances ou les reprises de l’étranger, il doit être en manœuvres contre la rancune ou la désaffection de ses peuples. Toujours en route ; jamais en repos ; toujours en montres de sa majesté, en revues de ses troupes, ah ! ce ne fut jamais un métier tranquille que celui d’Empereur allemand ! Toujours chevaucher, toujours parader ! à travers monts et vaux, clairières et fourrés du grand bois germanique, errer, courir toute sa vie, chaque matin repartir sous le soleil ou sous la pluie, chaque soir se coucher en un lit d’emprunt !…

Heureuses majestés civiles des pays de droit laïque ou divin ! vous pouvez vivre à votre envie devant la foule ou dans la retraite, dans l’éclat de la pourpre ou dans les joies de la famille, derrière les grilles d’un palais ou sous les ombrages de vos parcs ! Heureux Bourbons de France qui, dans un rayon de vingt lieues autour de votre Paris, ne voyagiez qu’à petites heures, en lourds et lents carrosses, du Louvre à Saint-Germain, à Versailles, à Fontainebleau ! Les coteaux de la Seine étaient votre horizon ! Chambord était votre ultima Thule ! … Heureux Cobourgs d’Angleterre qui, durant tout votre règne, allez rendre une ou deux visites aux différens peuples de votre Empire, mais, d’ordinaire, ne changez de home que pour vos aises ou votre plaisir ! Vous ne montez en selle que pour vos chasses ; vous ne sortez en casque et sabre que pour aller chez vos soldats ou vos confrères en royauté !…

Toujours à cheval, toujours en vedette, l’Empereur allemand, n’eut jamais droit au loisir de la solitude, aux aises de l’habit civil. L’Allemagne n’a jamais respecté que deux majestés assises et solitaires : Charlemagne muré dans sa tombe d’Aix-la-