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science d’elle-même que dans la lutte contre le dehors : un Français, un Anglais, un Italien peut se réclamer et se réjouir de sa nationalité au coin du feu familial, dans la vie quotidienne et tranquille de la cité ou de l’État, eh montrant ses vertus, ses talens, son pouvoir ; l’Allemand ne devient Allemand qu’au feu de la bataille ; il ne le reste que dans la vie des camps et des combats, dans la lutte violente, en faisant montre de sa force. Depuis vingt siècles qu’elle fait des apparitions intermittentes dans l’histoire, la « nation germanique » ne naît et ne vit que pour l’offensive ; elle ne duré que par la victoire ou pour les apprêts de revanche ; elle n’a jamais survécu à la défaite, ou seulement à la paix.

D’autres nations peuvent mettre leur morale et leur bonheur dans un pacifique échange de services avec tous leurs voisins : chez elles, l’état de guerre est l’accident du présent, le mauvais héritage du passé ; elles rêvent d’un avenir de paix éternelle entre tous les hommes. On a même vu de grands empires maintenus sur cet idéal pacifique : du jour où Rome eut assuré toutes ses frontières contre la barbarie, elle donna à l’humanité méditerranéenne trois et quatre siècles de cette paix romaine, durant lesquels l’Espagne, l’intérieur de la Gaule, l’Italie, le Levant balkanique et anatolien, l’Égypte et toute l’Afrique du Nord ne connurent que par de lointains échos le bruit des armes ; quelques opérations de police à l’intérieur et aux frontières ne troublaient jamais que localement, pour quelques mois, cet état de paix ; durant trois ou quatre cents ans, la paix romaine devint un idéal et une habitude pour les deux tiers de l’humanité blanche, qu’abritaient les légions et les défenses du Seuil romain.

C’est pourquoi, tout au fond de leur cœur, même quand elles admirent le plus l’homme de guerre, même quand elles le considèrent comme le plus utile des serviteurs de la res publica, les nations latines ne le jugent pas comme le seul indispensable. Elles gardent toujours la meilleure moitié de leur admiration aux œuvres et aux hommes de paix. Elles pensent qu’un peuple peut et doit tour à tour porter les armes et la toge, mais que, dans la vie courante, c’est la toge qui est de mise, et les armes, qui doivent être de garde… Mais du jour où la Germanie n’est pas en armes, groupée sous un chef de guerre pour marcher au pillage et à l’asservissement d’autres peuplades