Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
792
REVUE DES DEUX MONDES.

gain ou d’un contentement personnels, d’une revanche ou d’une conquête : « L’organisation socialiste se pose en ennemie de notre vie gouvernementale actuelle : son ciment est dans cette hostilité ; elle se sent beaucoup trop forte pour se laisser traîner comme un wagon par la locomotive gouvernementale sur la voie normale : elle voudrait être elle-même la locomotive et tenter de tirer dans le sens opposé… Le socialisme français a ses racines dans la grande Révolution, le socialisme italien dans le Risorgimento ; la Révolution et le Risorgimento étaient animés d’un esprit passionnément patriotique. Notre Social-Démocratie n’est pas, comme le socialisme français et italien, un sédiment dans l’évolution historique de la nation ; elle est l’ennemie voulue de notre histoire et de notre passé national. »

Histoire sédimentaire des nations latines, histoire cataclysmique des peuplades allemandes : voilà encore une de ces formules où M. de Bülow excelle à enfermer une admirable vue de longs siècles d’histoire, à définir deux systèmes de construction nationale, deux processus de géologie politique.

Depuis les temps les plus reculés que la science puisse atteindre jusqu’à l’heure présente, la construction du peuple français se poursuit, en effet, lente, continue, sédimentaire. Elle est interrompue, de loin en loin, par quelque cataclysme, révolution interne ou invasion étrangère, surtout par les invasions violentes ou sournoises de l’étranger. Mais à peine ces invasions installées, le ruissellement, si l’on peut dire, des générations reprend suivant la pente de l’équilibre national : comme une loi de pesanteur politique, le besoin d’égalité et de légalité, reprenant ses effets traditionnels, tend, travaille, réussit toujours à désagréger et à épandre la race, la langue ou l’idée étrangères, à niveler les apports des cataclysmes et à déposer, en strates horizontales, égalitaires, une nation gallo-romaine durant les temps anciens, germano-latine durant les temps modernes, franco-européenne durant les temps nouveaux qui vont commencer.

Depuis les temps les plus reculés, il semble que l’Allemagne n’a jamais été que cataclysmes politiques et que l’inondation étrangère y eut toujours un rôle, non de bouleversement, mais de pacification et d’équilibre sous la compression. C’est l’influence ou l’action directe de l’étranger qui, du chaos ger-