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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

entre les mains d’Henri II et comme celui de Charlemngne entre les mains de Charles le Chauve. Tout au bout de cette longue méditation sur la Politique allemande, le dernier mot de M. de Bülow est une pensée de Gœthe, « conclusion suprême de la sagesse : Celui-là seul mérite la liberté et la vie qui est forcé de la conquérir tous les jours. » Il semble, en effet, que l’Empire allemand depuis onze siècles n’ait jamais eu de vie, que l’Empereur allemand n’ait jamais eu de liberté que dans la conquête journalière aux dépens du voisin.

Vue sous cet angle, la chaotique histoire des Allemagnes depuis onze siècles, ce tohu-bohu de peuplades et de dynasties, de majestés presque divines et de sujétions presque misérables, cette succession d’apogées splendides et d’éclipses totales, de terribles fracas et de mornes silences, s’éclaire tout à coup et s’ordonne et se déroule en un ensemble rythmé. Depuis les plus lointaines origines jusqu’à l’heure présente, on y discerne l’action de deux forces contradictoires : « De même qu’une des meilleures vertus allemande, le sentiment de la discipline, — dit M. de Bülow, — se manifeste d’une façon particulière et inquiétante dans notre Social-Démocratie, de même s’y montre aussi notre vieux défaut, — l’envie, — que Tacite remarquait déjà chez nos aïeux ; c’est par envie, dit-il, propter invidium, que les Germains ont mis à mal Arminius le Chérusque, leur premier libérateur. »

Dans toute l’histoire des peuples allemands, comme dans la Social-Démocratie d’aujourd’hui, M. de Bülow retrouve « ces deux forces ou ces deux faiblesses du tempérament national : » l’organisation disciplinaire, et la jalouse envie d’échapper au joug de l’unité. « Le socialisme allemand n’est si dangereux pour l’Empire que parce qu’il est si foncièrement allemand. Pas un peuple n’a des capacités d’organisation pareilles aux nôtres ; aucun n’a une pareille disposition de la volonté pour la discipline ; aucun n’est prêt comme lui à se soumettre aux lois d’une rigide discipline ; ce que d’autres peuples arrivent à faire dans le feu de l’enthousiasme national, nous l’avons souvent réalisé grâce à la force de la discipline. » Mais « le ciment de cette discipline est toujours une hostilité ; »  l’envieux égoïsme germanique ne veut subir de contrainte que dans l’espoir d’un