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l’Italie, alors que l’Autriche avait encore les mains libres, aurait amené l’occupation par celle-ci du Nord de l’Albanie et, finalement, à bref délai sans doute, un conflit entre les deux pays. Pour éviter ce danger, l’Italie, comme nous-mêmes d’ailleurs et comme toutes les Grandes Puissances, avait consenti à la création de ce royaume d’Albanie, conception bâtarde dont l’histoire aurait ressemblé à une opérette si beaucoup de sang n’y avait pas coulé : et il y en coulera encore. L’Autriche et l’Italie se tenaient donc là réciproquement en respect. Mais aujourd’hui l’Autriche a affaire ailleurs et si grandement même qu’il lui serait difficile de détacher un de ses soldats pour l’envoyer en Albanie. De plus, la fortune ne sourit pas à ses aigles, et on peut prévoir pour elle une issue fatale. Vallona était donc à portée de la main de l’Italie ; la tentation était forte ; qui donc y aurait résisté ? L’Italie ne l’a pas fait. Elle a cherché un prétexte pour expliquer son intervention et ne s’est pas mise en grands frais d’imagination pour le trouver, ce dont il faut d’autant plus l’approuver que, quand bien même on aurait trouvé mieux, on ne l’aurait pas crue davantage. Elle a donc envoyé une mission sanitaire à Vallona : on sait ce que cela veut dire, et il est facile de prévoir où cela conduira. Mais qui s’en soucie ? Non pas nous, assurément. En tout temps, nous avons été sympathiques aux visées de l’Italie dans l’Adriatique : si elle avait besoin d’une approbation pour ce qu’elle vient de faire, elle aurait la nôtre pleine et entière. Elle pousse d’ailleurs la prudence aussi loin que possible, et plus même qu’il n’est nécessaire. M. Sazonoflf, dans une conversation récente, s’est étonné qu’elle ait laissé flotter à côté du sien le drapeau de l’Albanie qui est le pur symbole de l’anarchie. L’Albanie n’existe plus, si tant est qu’elle ait jamais existé ailleurs que sur le papier des chancelleries. Elle n’existe plus, mais l’anarchie y règne toujours, et l’Italie, après avoir pris le gage qui lui semblait indispensable, ne se montre nullement tentée de s’y engager davantage.

On connaît l’odyssée d’Essad Pacha, auquel elle a donné l’hospitalité pendant la seconde partie du règne du prince de Wied. Essad lui appartient, autant qu’il peut appartenir à quelqu’un ou à quelque chose, et cela a suffi pour qu’il soit devenu impopulaire dans un pays où il semblait devoir être tout-puissant, au moins pendant quelques mois. Il y a, parmi tant d’autres, une intrigue musulmane en Albanie : elle s’appuyait autrefois sur Essad, elle s’est à présent tournée contre lui et, menacé, il a cherché un refuge à Durazzo. Il y a été poursuivi, un combat s’est engagé, on ignore comment il se serait terminé, si