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d’hui, nous sommes prêts à tout. Les crédits demandés se décomposent ainsi, nous prenons les chiffres ronds : 2 milliards et demi qui représentent six douzièmes provisoires calculés d’après le budget courant, et près de 6 milliards de dépenses militaires. Aucune voix n’a demandé des explications : on s’est contenté de celles que la commission du budget a déclaré avoir reçues et qu’elle a jugées satisfaisantes. On voit quelle large part de confiance entre dans un vote qui a réuni 561 voix contre zéro.

En somme, la Chambre s’est montrée à la hauteur des circonstances. Puisse-t-il en être de même en janvier ! Nous ne recueillerons pasici les bruits de couloirs ; il y en a eu beaucoup et de très divers ; mais les couloirs sont quelquefois la soupape de sûreté du Parlement. Il n’est peut-être pas de bonne politique de faire le procès de la Chambre, de l’attaquer et de la condamner avant qu’elle ait encore rien fait, ni rien dit. Nous ne savons pas ce que sera l’avenir : pour le moment, la Chambre n’a que deux dates dans son histoire, le 4 août et le 22 décembre. Aucune autre assemblée, dans aucun autre pays, n’aurait pu moins parler, puisqu’elle n’a rien dit, ni mieux agir, puisque, dans son patriotisme, elle a fait résolument tout ce que le gouvernement lui a demandé.


Que dire de la guerre ? Elle se poursuit dans des conditions très rassurantes, mais avec la lenteur inhérente au caractère qui, de part et d’autre, lui a été donné. C’est une guerre d’usure : on ne peut donc pas compter, au moins pour le moment, sur une de ces batailles brillantes et décisives qui ont jeté tant d’éclat à d’autres époques. Au début, personne chez nous ne s’était attendu à ce que la guerre prît cette tournure, et il est très probable que les Allemands ne s’y attendaient pas davantage : l’imprudente rapidité de leur marche montre bien qu’ils comptaient procéder comme la foudre. Cependant ils s’y étaient préparés, — à quoi d’ailleurs ne s’étaient-ils pas préparés ? — et, le moment venu, ils ont déposé le fusil pour prendre la pelle et la pioche. Il a bien fallu que nous en fissions autant, et nous l’avons fait aussitôt. Jamais notre élasticité, notre faciUté d’adaptation aux épreuves les plus diverses ne s’étaient manifestées plus évidemment. Avouons toutefois que cette guerre nous déconcerte un peu, parce que quelques-unes de nos qualités n’y trouvent pas leur emploi ; mais, ceci dit, nous aurions tort de nous en plaindre davantage, car elle nous sert au lieu de nous desservir. Le temps travaille pour nous.

Avant que la guerre éclatât, nos ennemis le reconnaissaient en