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REVUE DES DEUX MONDES.

Le lendemain matin, Mme G., fille d’un Anglais et d’une Japonaise, et qui parle le japonais comme sa langue maternelle, entendit par la fenêtre de sa cabine deux officiers de l’équipage qui causaient en se promenant. L’un disait : « Il est probable que personne ne pourra débarquer à cause de l’insurrection. » Et l’autre ajoutait : « Qui sait si nous ne serons pas obligés de revenir au Japon ? » Mme G., qui ne tenait point à visiter Hong-Kong, mais qui désirait retrouver son mari le plus tôt possible à Singapore, fut fort effrayée. Elle me fit part de ses craintes. Un passager l’entendit ; et bientôt tous ceux qui devaient descendre furent dans les transes. Le Katori Maru, cependant, se frayait sa route à travers un archipel de montagnes désertes. Le ciel s’était couvert ; la pluie tombait ; les jonques chinoises rasaient les eaux avec leurs ailes de chauves-souris. Nous aperçûmes la rade, des paquebots, des navires de guerre, toute la ville blafarde au bord des flots. Un petit vapeur s’avançait vers nous. Un des hommes qui le montaient cria dans son porte-voix : « Jetez l’ancre et enlevez immédiatement votre appareil de télégraphie ! » Nous tremblions qu’il ne nous intimât l’ordre de rester à bord ; mais cette voix rude ne nous en dit pas plus. Les Japonais s’empressèrent de lancer un dernier message dans le vent et la pluie ; puis ils obéirent. Et la chaloupe nous mena bientôt à terre. Le soleil était revenu. Des soldats hindous flânaient sur le quai. La place devant la mer, que gardent les statues de la reine Victoria et du roi Édouard, avait le silence des places qui n’ont rien à raconter. Les rues parallèles à la rade étaient paisibles. Les ruelles dallées, qui descendent de la montagne, y répandaient, comme autrefois, leurs parfums de marchés aux fleurs ; et, comme autrefois, les grosses bottes de roses y coûtaient cinq centimes. Ce fut nous qui apportâmes la nouvelle de l’insurrection. On nous répondit que, si jamais les soldats hindous s’insurgeaient, ce serait uniquement parce qu’un voyage en France, et surtout en Allemagne, leur paraissait beaucoup plus agréable qu’un séjour en Chine.

Shanghaï n’avait pas encore souffert de la guerre : la physionomie de Hong-Kong en portait déjà les traces. La ville s’était agrandie depuis quinze ans ; elle avait conquis sur la mer de vastes quais où se dressent des Palaces et des Banques. J’avais dû jadis m’embarquer pour les Philippines à l’endroit qu’occu-