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REVUE DES DEUX MONDES.

Le 25 au soir, rendus furieux par un échec que venaient de leur infliger les troupes belges, et excités, dit-on, par une méprise qui venait dans l’ombre de jeter les uns contre les autres des compagnies rentrant en désordre et des compagnies qui crurent à une attaque, les soldats allemands, répandus par la ville, se mirent à tirer en tous sens dans les rues désertes. Aussitôt des incendies éclatent. L’antique bâtiment des Halles, devenu le siège de l’Université et contenant la célèbre bibliothèque, est parmi les premiers atteints. Tout près, l’impressionnante église Saint-Pierre flambe à son tour, et quelques-uns des plus beaux hôtels de la ville éclairent cette première nuit du carnage. « Les soldats enfonçaient les portes des maisons et y mettaient le feu au moyen de fusées. Ils tiraient sur les habitans qui tentaient de sortir. De nombreuses personnes réfugiées dans leur cave furent brûlées vives ; d’autres, atteintes par des coups de feu au moment où elles voulaient sortir du brasier[1]. »

Beaucoup d’habitans, par leurs jardins et les ruelles, parviennent pourtant à fuir leurs demeures : ils sont conduits devant la gare, où déjà dix cadavres de civils sont jetés sur l’herbe du square. On sépare brutalement les maris de leurs femmes et de leurs enfans ; fouillés et dépouillés de leur argent et de leurs bijoux, ils sont poussés sur les routes sans avoir eu le temps d’un mot ou d’un baiser. Un groupe de soixante-quinze bourgeois, suivis d’ecclésiastiques parmi lesquels on remarque deux religieux espagnols et un prêtre américain, fut conduit devant le front des troupes allemandes jusqu’au village de Campenhout où, à la nuit tombante, on les enferma dans l’église. À quatre heures du matin, la porte s’ouvrit, un officier cria aux captifs qu’il était temps pour eux de se confesser, et qu’ils seraient fusillés une demi-heure plus tard. Une demi-heure plus tard on les relâcha. Se croyant sauvés, ils se dirigeaient vers Louvain quand un régiment les arrêta, leur fit rebrousser chemin et les poussa devant lui dans la direction de Malines. Aux portes de cette ville, on les laissa partir. Il faudrait lire dans les dossiers de la Commission les récits détaillés, faits par des vieillards, de cette brutale équipée… Un autre groupe, beaucoup plus nombreux, fut conduit dans la gare. Des centaines d’hommes furent entassés dans des wagons à bestiaux

  1. 5e rapport de la commission.