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LA BELGIQUE MARTYRE.

enfans et trouve dans le vestibule le cadavre de son mari tué depuis quatre jours. Elle-même, aidée de ses petits, doit l’enterrer dans son jardin.

Les autres traversent ce qui reste de leur ville. On compte quarante maisons encore debout. Près de l’église, dont les murs calcinés sont éclaboussés d’une boue sanglante, cent vingt hommes ont été tués à la mitrailleuse. M. Wasseige, directeur de la Banque Nationale, ayant refusé de livrer le secret de son coffre-fort qui lui était confié, a été assassiné dans ses bureaux, et on a poussé près de lui, sous les yeux de leur mère glacée d’effroi, ses deux fils, dont l’un, Jacques, âgé de quinze ans, n’ayant pas succombé sur-le-champ, a sangloté pendant une heure, suppliant qu’on l’achevât. L’écho de drames plus affreux encore retentit. — « Pourquoi avez-vous agi ainsi ? » demande une femme à un officier. Il ne sait pas… Elles cherchent leurs morts dans les tas, emportent leurs reliques. Le 10 septembre on avait dressé une liste de cinq cent quatre-vingt-dix fusillés ! Elle monterait aujourd’hui à plus de huit cents.

On fit grâce aux quelques autres. Il n’en fut pas de même à Andenne, où trois cent vingt bourgeois furent massacrés à coups de baïonnette, de hache, et où, après une dévastation qui est une réplique de celle de Dinant, on infligea aux survivans, pour couronner leurs épreuves, un banquet qui fut baptisé le Pardon d’Andenne ! Officiers et soldats l’organisèrent sur la grand’place, forcèrent les autorités locales à y prendre part, et au milieu des décombres où s’enfonçaient, pour ne point entendre, les veuves et les orphelins de leurs victimes, entrecoupèrent leur insultante orgie de hoch pour l’Empereur et d’hymnes à la réconciliation ! On ne peut rêver plus tragique raffinement. Il ne suffit plus de blesser la chair ; il faut aussi faire saigner les âmes !

Le sac de Louvain, comme celui de Dinant, fut inattendu. L’ennemi était entré en ville le 19 août et avait trouvé la population tranquille et résignée. Le pillage des banques privées, la dévastation de quelques maisons, la prise brutale d’un grand nombre d’otages, les réquisitions sans mesure, la libération des prisonniers de droit commun de nationalité allemande détenus à la maison centrale, les nombreux attentats commis sur les femmes, ne furent que des incidens préliminaires. La vie des habitans, l’existence de la ville semblaient devoir rester sauves.