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des maisons où les officiers allemands avaient élu domicile… » Il ne restera plus en ville, quand les Belges y rentreront, — pour peu de jours, hélas ! — le 10 septembre, que quelques femmes parmi des décombres arrosés de vin : par centaines, par milliers, les habitans, évacués de l’église où ils étaient entassés, avaient été embarqués pour l’Allemagne !

À l’autre bout du pays, deux petites villes wallonnes étaient à la même époque la proie du feu. Plusieurs jours après la bataille qui les y avait mis aux prises avec les Français, les Allemands entraient sans coup férir, le 23 août, dans Dinant évacuée. Tout le monde était au travail. Passant aux portes de la ville près de la filature, les soldats s’y précipitaient sans raison, séparaient les ouvrières des ouvriers, fusillaient ceux-ci au nombre de soixante-dix, enfermaient celles-là dans un couvent, où elles devaient rester plusieurs jours sans manger. Poursuivant leur route ils dévalaient par les rues, sonnaient aux portes, tuant à bout portant celui qui venait ouvrir, réunissaient déjà les hommes près de l’église pour le massacre ordonné, concentraient les femmes et les enfans dans les maisons religieuses et la prison. À l’abbaye des Prémontrés de Leffe, où ils tinrent, plusieurs jours durant, les femmes de ce faubourg, ils se livraient aux excès les plus odieux. Le premier jour, ils refusèrent de nourrir leurs prisonnières ; le second jour, ils leur jetèrent du pain noir ; le troisième, ils permirent à quelques-unes d’entre elles d’aller arracher des carottes dans le jardin des moines. Affolées, plusieurs, tombant aux pieds de leurs tortionnaires, demandèrent ce qu’il fallait leur donner pour être libérées ! « — Trente mille francs, » leur répond-on. L’énormité de la somme ne les décourage pas ; elles avaient emporté ce qu’elles avaient pu de leurs pauvres économies : en se cotisant, elles parviennent à réunir quinze mille francs. — « Cela ne peut-il suffire ? » L’officier prend l’argent, mais ne les libère pas. Au contraire, on ne songe qu’à les faire souffrir. Tous les moyens furent bons pour torturer ces malheureuses. On leur annonça qu’on allait les fusiller, puis qu’elles allaient être brûlées vives : et, pour augmenter leur terreur, on alluma sous leurs fenêtres des feux de paille… Le quatrième jour enfin, on leur ouvre les portes : c’est pour qu’elles contemplent leur cité détruite, leurs foyers en cendres. L’une d’elles. Mme  P., frémit de joie, voyant sa maison épargnée ; elle y rentre avec ses six