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y éclate, leur âme épaisse en jouit… L’esprit du chef ne le cède en rien, d’ailleurs, à celui du simple soldat. À Louvain une jeune femme s’avance vers un officier : « Monsieur, j’ai des enfans, je voudrais les sauver de cette ville en flammes ! » Et l’officier de répondre avec un sourire, et dans son meilleur français : « Ah ! vous avez des enfans, Madame, eh bien ! moi je n’en ai pas, et cela m’est bien égal ! » Et voici la fleur de leur finesse : dans une ville qu’on saccage, la baronne de X. est retenue dans une maison pendant que, de l’autre côté de la place, flambe et s’écroule son hôtel, où elle a laissé ses enfans. Lâchée enfin elle court dans les rues de la ville, affolée, trouve ses quatre petits avec une servante, tremblans au milieu des flammes, sur le perron d’un monument public ; elle les étreint et, à travers les ruines et les flammes, fuit vers la campagne, portant ses plus petits dans ses bras, la bonne la suivant avec les deux autres. Elle parvient aux champs, dans un village où la veille s’élevait encore son château. À bout de forces, elle interroge un officier prussien qui passe. « — Monsieur, puis-je rentrer chez moi ? ma maison n’a-t-elle pas souffert ? — Nullement, répond galamment le lieutenant, je vais vous conduire jusqu’à votre seuil. » Parmi les frondaisons du parc, il la précède avec une affectation de courtoisie et, au tournant d’un buisson, l’arrête devant un monceau de ruines : — « Voici, Madame, votre beau château ! » Et comme la malheureuse, énervée, sanglote et que ses enfans pleurent avec elle, il a le beau courage d’ajouter, fier de tant d’esprit léger : — « Pourquoi n’y êtes-vous pas restée, Madame ? il ne pouvait rien vous arriver, à part quelque incident… fort agréable. Une femme qui a goûté d’un Allemand ne supporte plus d’autres hommes ! » Et il la chasse avec un salut.

Nous touchons du doigt ici, dans un seul exemple, ce que sont la chevalerie, la pitié, la décence et la grâce germaniques !


V


Il y eut en Belgique, pendant le premier mois de l’occupation, une série de crimes retentissans qui résument et synthétisent tous les autres : l’assassinat, froidement débattu et prémédité, de villes entières, avec leurs monumens les plus sacrés, leurs trésors d’art, leur population poussée comme un troupeau vers