Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
REVUE DES DEUX MONDES.

peut-être, au préalable, comme aux condamnés de Wygmael, creuser leur tombe. S’ils sont trop nombreux pour qu’une salve suffise à les exterminer, on se servira de la mitrailleuse. On les trouvera le soir tombés en travers les uns des autres, dans leur sang coagulé, ou, comme à Elewyt, à genoux et les mains encore jointes, glacés par la mort dans l’attitude de la supplication. Peut-être aussi se contentera-t-on de les faire souffrir. On les conduira dans les champs, on leur annoncera qu’ils vont mourir, on leur demandera comment ils préfèrent mourir : assis, debout, couchés ? On leur fera tenir, des heures durant, les mains levées ; on jouera devant eux cinq ou six fois le simulacre de la fusillade. On les frappera s’ils ne marchent pas assez vite, comme l’évêque de Tournai, vénérable octogénaire, poussé sur la route d’Ath avec les notables de sa ville, et qu’un soldat, le voyant prêt à tomber, accable de coups de poing ! On les fera retourner d’où ils viennent, après des tours et des détours, pour voir leurs maisons détruites, et on les lâchera enfin, dans un éclat de rire ou un blasphème !

Là où l’occupation semble moins barbare et où les villageois croient pouvoir continuer à vivre de leur vie ordinaire, des épisodes sanglans marqueront le passage de l’envahisseur. Des paysans reviendront du travail des champs : sans motif, on les abattra à distance. Au bruit, comme à Averbode, des habitans s’enfuiront-ils dans les prairies : d’une salve on les fauchera. Les Allemands ont-ils reçu des balles dum dum : ils en essaieront l’effet, comme à Muysen, le 6 septembre, sur d’inoffensifs civils. Se montre-t-on empressé vis-à-vis d’eux : ils récompenseront l’amabilité de leur hôte en le tuant, comme le cabaretier Degend, de Tessenderloo, poussé par eux au mur après qu’il les eut gavés. Ont-ils reçu ordre de ne pas faire de mal : ils s’en remettront de ce soin à leurs successeurs, comme ce détachement qui passa à Lubbeek et fut reçu par l’aubergiste : « L’aubergiste nous raconta, dit le témoin v. d. K., que les Prussiens avaient été si contens de sa réception qu’ils l’avaient quitté en lui serrant la main et en disant : Braves gens ! Avant de partir, ils avaient écrit sur sa porte « une bonne recommandation. » L’un de nous alla voir, ajoute le témoin, et lut cette phrase en allemand : Les habitans de ce village ne méritent aucune pitié, ils ont tiré sur les troupes ! » Ont-ils trop bu : ils entreprendront quelque jeu cruel, comme à Schaffen, où ils