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ministères, Carol était découragé. Plusieurs fois, il fut sur le point de suivre les conseils de son père, et de Bismark lui-même, en abdiquant une couronne, qui ne lui apportait, écrivait-il, « qu’ingratitude, désillusions et soucis. » L’événement faillit se produire dans la nuit du 22 mars 1871. La colonie germanique de Bucarest avait voulu fêter ce jour, qui était l’anniversaire de la naissance de l’empereur Guillaume, en donnant au consul prussien, Kadowitz, un banquet qui fit l’effet d’une provocation aux sentimens de la population encore sous l’impression de la nouvelle de l’entrée des Allemands dans Paris : une foule menaçante, rassemblée devant la maison où se donnait le banquet, lança contre les fenêtres une grêle de pierres dont plusieurs atteignirent les convives. Dans la ville, les réverbères avaient été éteins, les cloches sonnaient le tocsin, et l’on entendait retentir les cris de : Vive la République ! Au palais ! Vers minuit seulement, la troupe parvint à disperser les émeutiers sans répandre de sang.

Cette fois, le prince déclara son intention formelle de déposer, dès le lendemain matin, sa couronne entre les mains de la « Lieutenance princière » (gouvernement provisoire) qui l’avait appelé au trône cinq ans auparavant. Mais la nuit porta conseil. Les plus violens adversaires de Carol sentaient qu’on avait besoin de lui dans une heure aussi grave : les caisses publiques étaient vides et les Turcs guettaient le moment d’envahir le territoire ! On supplia le prince d’abandonner une résolution « qui allait déchaîner la banqueroute et l’anarchie sur le pays. » Il se laissa convaincre, justifiant ainsi la prédiction du prince Napoléon, qui avait dit devant un auditoire incrédule : « Il a du cœur, vous verrez qu’il restera. » Il faut reconnaître, en effet, que Carol obéit plus au sentiment du devoir qu’à l’ambition en demeurant à son poste dans des circonstances aussi périlleuses. Il se hâta de remplacer les ministres en fonction par un Cabinet dont le premier acte fut de témoigner à l’Allemagne son profond regret des événemens passés. Il prononça la dissolution de la Chambre et fit procéder aux élections, qui amenèrent une forte majorité conservatrice. On lui savait gré de l’énergie qu’il avait montrée en tenant tête à l’orage. Que serait devenue à ce moment la Roumanie s’il l’avait abandonnée ? Mais les sentimens francophiles et a : itiger-maniques n’en subsistaient pas moins dans le pays : on en eut