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immoral de songer, à leur résister. Ainsi pensait Goliath à l’égard de David. Ainsi pensait à son tour l’Empereur Guillaume à l’égard de la France : on sait où ce jugement l’a déjà conduit. Mais, certes, l’adversaire était redoutable, et M. Jules Cambon avait raison de terminer sa.dépêche en disant : « S’il m’était permis de conclure, je dirais qu’il est bon de tenir compte de ce fait que l’Empereur se familiarise avec un ordre d’idées qui lui répugnait autrefois, et que, pour lui emprunter une locution qu’il aime à employer, nous devons tenir notre poudre sèche. » La guerre était contenue dans ces quelques lignes, auxquelles on a eu tort, peut-être, de ne pas attacher assez d’attention.

On dit aujourd’hui volontiers qu’il n’y a pas eu deux Allemagnes, qu’il n’y en a jamais eu qu’une : celle de jadis, que nous avons crue pacifique, élégiaque et bucolique, n’a été qu’une illusion. On peut dire de même qu’il n’y a pas eu deux empereurs Guillaume et qu’il n’y en a jamais eu qu’un. La question ne sera sans doute définitivement résolue qu’au Jugement dernier. Ce qui est sûr, c’est que l’Empereur pacifique avait beaucoup mieux compris le véritable intérêt de son pays que l’Empereur guerrier. Qu’on se reporte par le souvenir à ce qu’était la situation de l’Allemagne dans le monde il y a moins de cinq mois : elle était immense et incontestée. On croyait sa force invincible, et sur cette base qui semblait inébranlable reposait l’édifice politique le plus fort qu’on eût encore vu. Et comme tout vient à la fois dans l’ordre de la puissance, l’Allemagne était partout, pénétrait partout ; son commerce avait conquis une sorte de primauté dans l’univers entier ; le commerce anglais, qui seul pouvait encore rivaliser avec lui, était déjà menacé de ne le pouvoir bientôt plus. On découvre aujourd’hui le pullulement de maisons allemandes qui avaient envahi le territoire des nations actuellement alliées ; les maisons françaises, anglaises et russes étaient envahies, elles aussi, par des représentans teutons. On admirait, dans tous les domaines, les méthodes allemandes où on croyait voir du génie alors qu’il n’y avait que de l’adaptation et du savoir-faire. Beaucoup prenaient pour du marbre ce qui n’était que du stuc. Le colossal imposait par sa masse, et on le confondait avec ce qui est vraiment grand. Tout réussissait à l’heureuse Allemagne ; elle n’avait plus qu’à se laisser vivre, — et à laisser vivre les autres, — pour jouir des apparences de la gloire et des réalités de la fortune. L’Empereur avait bien raison d’aimer la paix et de vouloir la maintenir. Il jugeait sainement alors. Depuis son esprit s’est obscurci, sa volonté a faibli. Qu’en est-il résulté ? Au bout de quatre mois, l’hégémonie allemande, mise en