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des excuses alléguées par le présent chancelier impérial à l’appui d’un acte d’inexcusable « félonie » internationale. Treitschke avait beau se représenter l’État prussien comme revêtu de privilèges exceptionnels : à défaut d’autres devoirs pour ce « sur-état, » il admettait du moins ceux que commande l’honneur ; et l’hypothèse d’une armée allemande manquant à sa parole envers un pays neutre simplement parce qu’elle jugeait « trop difficile » de pénétrer en France par des voies plus loyales, une telle hypothèse ne lui serait sûrement jamais venue à l’esprit.

Mais, avec tout cela, son discours sur la Législation internationale a déjà bien de quoi nous montrer l’étrange perversion opérée dans le cœur et la pensée de ce « gentilhomme » par l’espèce de rêve ou d’idéal « messianiste » qui, dès sa jeunesse, lui a fait concevoir son cher État prussien comme appelé à jouer un rôle « transcendant, » A chaque page du long discours, nous rencontrons des allusions plus ou moins explicites à la possibilité, pour une nation « pleinement consciente de soi, » de s’affranchir au besoin des contraintes qui risqueraient de l’entraver dans, l’accomplissement de son « œuvre. » A chaque instant, le « gentilhomme » se transforme assez fâcheusement en un subtil « casuiste, » s’ingéniant à prouver que, dans tel ou tel cas particulier, les exigences de la législation internationale peuvent être négligées, ou, tout au moins, « tournées. »


Toutes les limitations que les États s’imposent à soi-même, — nous dit-il par exemple, — sont ainsi d’ordre purement volontaire ; tous les traités sont conclus avec une restriction mentale, — rebus sic stantibus, aussi longtemps que les circonstances demeurent pareilles. Aucun État ne saurait jamais s’engager à une observation illimitée de ses traités, car une telle observation aurait pour effet de restreindre son pouvoir souverain.


On entend bien que l’intention de Treitschke est seulement de légitimer la guerre, dont il proclame ensuite, très éloquemment, à la fois la nécessité et l’excellence « humaine : » mais sa théorie de la a restriction mentale, » sous la forme qu’il lui a donnée, ne pourrait-elle pas servir aussi à légitimer d’autres modes, moins « chevaleresques, » de violation des traités internationaux, et M, de Bethmann-Hollweg n’aurait-il pas été en droit de rappeler les lignes qu’on vient de lire pour couvrir, en quelque sorte, de l’approbation formelle du célèbre historien la manière dont son maître et lui ont déchiré un « chiffon de papier » devenu gênant pour leur « pouvoir souverain ? » D’autant plus qu’ils auraient aisément découvert, dans d’autres morceaux de Treitschke, des passages où, bien plus