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Ainsi donc, ô Nature, ô Mère souveraine,
Tout ce qui vient de toi, tout ce qui vit par toi,
Homme ou plante, âme ou fleur, dans ta joie ou ta peine,
Doit vivre de ta vie et plier sous ta loi !

S’il faut que le Printemps mêle, en d’étranges crises,
Tant d’effrois à l’espoir, tant de neiges aux fleurs,
Pour que ses repentirs par des douceurs exquises,
Préparent à l’Été ses fécondes chaleurs,

Il faut sans doute aussi que la douleur humaine
Nous frappe au cœur afin qu’il s’ouvre largement
A l’amour, à la joie, à la pitié sereine,
Comme au bon grain la glèbe où plonge un soc fumant.

Puisqu’il en est ainsi, puisque ceux dont la vie
Fut dès l’aube éclairée aux rayons du bonheur,
Tant que des ouragans ne l’ont point obscurcie,
En ignorent le prix et le cherchent ailleurs,

Puisque d’un vieil ami la main la mieux serrée
Est celle qu’on étreint dans un jour de malheurs,
Et le plus cher baiser de la femme adorée
Celui que l’on échange avec des yeux en pleurs,

Je ne me plaindrai point d’avoir payé d’avance,
L’inflexible rançon imposée aux plaisirs,
Alors que j’en reçois la juste récompense
Par des félicités qui passent mes désirs,

Et comme la campagne où la grande eau versée,
Va tout faire pousser plus vite et mieux fleurir,
Je bénis à mon tour les angoisses passées,
Par qui j’appris à vivre et saurai mieux souffrir.


GEORGES LAFENESTRE.