Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Les martyrs du cyclone, amandiers doux et pâles,
Abricotiers meurtris, pêchers déchiquetés,
Oublient de regarder combien de leurs pétales
Gisent à terre, avec l’espoir des chauds étés ;

Trop heureux de renaître aux divines lumières
Dont la caresse est tendre et les vient consoler,
Tous frémissent en chœur et sur les primevères,
Dans les sentiers moussus, s’écoutent ruisseler :

Un gazouillis charmant s’écoule de leurs branches
Où brillent des rubis pendus aux bourgeons clairs,
Comme, après la baignade, aux seins des Nymphes blanches
Scintillent, en glissant, les pleurs des flots amers.

Les sources ont repris leurs chansons. Les montagnes
Redressent dans l’azur leurs sommets chevelus,
Et, voyant fuir la nue, annoncent aux campagnes
Que l’ouragan s’éloigne et ne reviendra plus.

Jamais Juillet brûlant, Septembre aux tièdes pluies,
N’ont fait courir, parmi les taillis dévastés,
Après l’apaisement de leurs foudres enfuies,
Tressaillemens plus doux d’amères voluptés.

Jamais, jamais non plus, dans mon âme incertaine,
Plus mouvante aux sursauts de joie et de douleurs,
Qu’aux caprices du ciel un tremble sur la plaine,
Ne descendit le calme avec plus de fraîcheurs.

Les nuages, pourtant, qui, durant ma jeunesse,
Ont tonné sur ma tête, étaient bien noirs et lourds,
Alors que trébuchait ma pensée en détresse,
Sur des lambeaux de rêve et des débris d’amours.

Mais quand j’entends glisser des arbres sur la route
Les derniers pleurs du ciel bus par ce beau soleil,
J’écoute en moi tomber de même, goutte à goutte,
Mes vieux chagrins, avec un murmure pareil.