Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fit signe au médecin, et, la voyant si lasse,
Tous deux, se rapprochant, lui dirent à voix basse :
« Voici trois jours entiers que vous veillez ici,
Madame, il faut rentrer chez vous. Tout est fini. »
Mais elle, se dressant, fière, avec un grand geste,
Répond : « Faites coucher ces femmes. Moi, je reste.
Je veux fermer ses yeux. Qu’on me laisse à mon deuil ! »

Et tous, en s’inclinant, durent passer le seuil…

Alors on eût pu voir, devant, la face pâle
Que plissent, par instans, les secousses d’un râle,
Tomber sur ses genoux et se signer trois fois
La noble femme, avec des larmes dans la voix !

« Pitié, mon Dieu, pitié ! Je sens que je succombe,
S’il faut que, sous mes pieds, s’ouvre encore une tombe,
Ecoute-moi ! Tu sais qu’en ce monde mortel,
Dès qu’un baiser de mère et la clarté du ciel
Eveillèrent en moi l’amour et la pensée,
Mon âme s’est vers toi tendrement élancée.
Enfant, je te voyais, salué par tes Saints,
Planer, près de ton fils, dans l’or des tableaux peints,
Vers lesquels, prosterné, pour calmer tes colères,
Le prêtre avec l’hostie élevait ses prières.
Plus tard, j’ai cru pouvoir monter plus près de toi,
Et, sur les ailes d’or que me prêtait la foi,
M’envoler jusqu’aux pieds du trône solitaire
D’où tu mènes le monde et surveilles la terre,
Et pour y parvenir et pour te désarmer
J’ai cru qu’il suffisait d’aimer, toujours aimer,
D’apprendre, apprendre encore, afin de te comprendre
Lorsque ta grande voix voudrait se faire entendre.

Mais tu ne m’as jamais clairement répondu !

Pour toi seul, cependant, j’ai partout répandu
Les bienfaits, les espoirs, les pitiés, les tendresses,
Afin que, sous le poids des communes tristesses.