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1792 et quand il était membre de l’Assemblée législative. Agé de vingt-sept ans en 1789, cet aimable garçon, avocat, parleur ingénieux, faisait son chemin. C’est à lui qu’on s’était adressé pour rédiger le cahier de la généralité lyonnaise. Il fut, sous l’organisation nouvelle, nommé substitut au procureur de la commune ; et il se lançait dans la politique. À la Législative, il eut son rôle parmi les honnêtes et imprudens personnages qui crurent maintenir en bel accord la monarchie et la constitution : l’une qu’on avait déconsidérée, l’autre qui était à la mode pour un peu de temps. Il n’aimait pas les violences et, révolutionnaire d’abord, il préféra la Suisse calme à sa ville natale pendant la terreur lyonnaise. Il voyagea et ne revint en son pays qu’après le rétablissement de l’ordre. Il avait de l’esprit, de la grâce, du discernement, de la pusillanimité. Il bégayait. En petit comité, on le trouvait assez hardi : l’arrivée d’un inconnu réduisait au silence son bégaiement, à la précaution ses hardiesses. Il écrivait gentiment, avec trop d’afféterie. Il a composé des livrets d’opéras-comiques, et puis des livres d’histoire, tels que l’Etablissement monarchique de Louis XIV, des essais, une étude sur Paul et Virginie. Il fut de l’Académie française et installa son aménité dans le fauteuil où avait été si grincheux l’abbé Moreffet. Il fut censeur dramatique et s’acquitta sans dureté de fonctions qui lui donnaient à plaisanter. Il disait à ses amis : « N’allez-vous pas voir, ce soir, Athalie, par Racine et Lémontey ? » Son éloge de Cook, très oratoire et orné à l’excès, ne vaut pas grand’chose.

Joubert avait travaillé des années, — avec peu de suite, — à son éloge de Cook. Ce fut, en somme, du temps perdu. Mais Joubert, toute sa vie, a perdu tout son temps, s’il ne s’agit que de produire. Il s’agissait, pour lui, de réaliser la perfection de son esprit ; de cette manière, le soin qu’il accordait à l’éloge de Cook, il l’utilisa comme un exercice d’agréable méditation.


ANDRE BEAUNIER.