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de citer est importante. Elle nous montre Joubert qui cède assez volontiers au goût législatif de ses contemporains. Comme.eux, il ne craint pas de refaire, au gré de l’idéologie, la constitution des peuples. Il a posé en principe un idéal de bonheur ; il a cherché les conditions du bonheur social et national : ces conditions, reste à les réaliser. Et il ne demande qu’à les réaliser en effet. Ce qu’il a très bien vu, c’est que les constitutions inventées par les philosophes, et inventées en vue du seul bonheur, ne sont pas applicables à de grandes foules humaines et à de grandes étendues géographiques. Donc, « c’est une question de savoir quelle étendue devroit avoir chaque pays. » Excellente logique ; erreur, en fait : l’étendue de chaque pays, indépendante de la volonté des philosophes, est un phénomène géographique et historique. Joubert, à la façon de tous ces théoriciens, ne tient pas compte de l’histoire ; il néglige le vivant et impérieux passé. Il demande que les grands États se subdivisent de mille manières. Tâche impossible, qui tente les réformateurs ; et, au surplus, tâche que la Révolution ne redoutera pas d’accomplir en France, lorsqu’à nos vivantes provinces elle substituera les départemens administratifs et irréels : tâche funeste. Et l’on voit, dans l’esprit de Joubert, quelques-unes des velléités qui trouveront bientôt leur occasion. Mais on a plaisir aussi à constater qu’il n’a pas l’outrecuidance et la désinvolture de ceux qui vont être efficaces. Il a, comme les autres, le défaut de travailler a priori ; cependant, il est préservé des pires folies par son souvenir provincial. Jeune philosophe, il est venu à Paris parce que Paris, pour un petit provincial, est en quelque sorte l’absolu. Il demeure assez provincial pour ne pas s’établir, à Paris, citoyen de l’univers. Tout ce qu’il dit de la petite patrie, ou de la province, garde une profonde et belle vérité. Il répond d’avance à des rêveurs plus fois que lui.

Mais il ne faudrait pas, en dépit de ces considérations, se figurer l’Éloge de Cook, préparé par Joubert, comme un traité de philosophie politique et sociale. Certes, la philosophie politique et sociale y intervient. L’essentiel est poésie. Quand Joubert assure que les voyages de Cook ont fait, pendant longtemps, les délices de sa pensée, croyons-le. Il a goûté, à lire Cook, ce divertissement auquel nous invite un Pierre Loti : dépaysement de l’esprit, son refuge ailleurs dans une fraîche nouveauté de toutes choses, l’offre des réalités les plus