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et il eût été respecté dans sa famille. Il l’eût gouvernée comme son vaisseau, avec justice, mais avec sévérité. Il eût cependant fait souvent des actes de bonté et de douceur qui l’eussent fait adorer et qui auroient charmé et frappé tous les esprits, comme il arrive ordinairement quand les hommes sévères se montrent humains, doux, compatissans, faciles et bons comme s’ils étoient nés faibles. Dans quelque rang enfin et dans quelque lieu que Cook eût vécu, il auroit eu la gloire qui ne peut échapper à ceux qui se montrent souverainement hommes de bien. » Et si, toujours marin, Cook n’avait pas eu l’aubaine de ses grandes expéditions ?… « Dans un vaisseau de commerce, le bonheur que sa sagesse eût procuré à toutes ses entreprises l’auroit rendu recommandable aux négocians de son pays et tous auroient recherché l’avantage de devenir ses commettans. Dans un vaisseau de guerre, sa bravoure et son sang-froid, ses manœuvres sûres et hardies lui auroient sans doute valu l’honneur d’être nommé dans les gazettes de son pays, mais ne lui auroient point procuré d’autre gloire. Soldat, il se fût élevé de grade en grade, jusqu’au rang de capitaine. Capitaine, il ne seroit jamais sorti de cette place. Il y auroit seulement acquis plus d’honneur que tous les autres dans les grades supérieurs parce qu’il auroit parfaitement rempli le sien… » Cook ne pouvait pas se rendre illustre dans un autre métier que le sien ; mais, dans toutes les conditions de la vie, il se fût montré irréprochable. « Il eût été ami solide et généreux et lié jusqu’au dévoûment par une estime mutuelle. Il n’auroit eu besoin d’un ami ni pour être consolé ni pour être supporté par son indulgence, mais pour avoir l’âme exercée par une bienveillance forte et par une sorte d’admiration pour la vertu… Il avoit une si parfaite organisation, il étoit tellement épris de l’ordre qu’aucun dessentimens honnêtes ne pouvoit être hors de son cœur… » Et Cook devient un charmant bonhomme, une sorte de père de famille selon Diderot.

Nulle époque n’a été plus constamment, — et, parfois, déraisonnablement, — éprise de morale. Cela étonne, parce qu’en fait peu d’époques ont été moins véritablement morales. Mais, plus les hommes de la période révolutionnaire sentaient menacés les principes de leur conduite et sentaient leur vie hasardeuse, plus ils cherchaient, et avec confusion, des morales un peu partout. Cette époque a bien de l’analogie avec la nôtre. Et n’est-ce pas une idée analogue aux idées de nos