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Allemands détruisirent pour le plaisir de détruire. Beaucoup de maisons, en effet, ne souffrirent pas du bombardement, mais furent seulement brûlées. Par exemple, elles le furent avec cet esprit de méthode que nos ennemis apportent en toutes choses. Des compagnies spécialement chargées de cette besogne disposaient d’engins perfectionnés : grenades incendiaires, disques explosibles, longs tubes inflammables pareils à des pailles dont j’ai trouvé encore des morceaux.

Ge sont les villages aux alentours de Fère-Champenoise et de Vitry-le-François qui offrent les plus poignantes ruines. Fère-Champenoise, à la limite de la bataille, n’a pas souffert ; et elle est Gère d’avoir figuré sur les communiqués de la victoire. Il lui semble qu’elle se rachète ainsi de la défaite de 1814 ; mais, vraiment, elle n’en avait nul besoin. Si le désastre de Napoléon, en ouvrant aux alliés la route de Paris, eut de funestes conséquences, il ne fut en rien déshonorant pour les nôtres qui luttèrent avec une bravoure admirable contre un ennemi sans cesse plus nombreux. C’est même ici que l’empereur Alexandre s’élança, malgré son état-major, au-devant des Français, pour les arrêter, en criant : « Il faut sauver ces braves ! » Eternel honneur de nos armées d’avoir souvent excité plus d’admiration dans la défaite que dans la victoire ! Dans la défaite, les Allemands, eux, se vengent sur les innocens. Un intérêt bien entendu leur fit d’abord respecter cette Champagne qu’ils avaient inondée d’espions et qu’ils comptaient bien annexer. Quand ils virent que le pays leur échappait, ils le saccagèrent comme un enfant rageur détruit le jouet qu’on lui retire.

Dès la sortie de Fère-Champenoise, les traces du combat sont visibles : tranchées, trous d’obus, arbres coupés en deux ou dont les branches cassées par les balles sont déjà mortes, fermes détruites, et surtout, de chaque côté de la route, innombrables petits tertres de terre remuée, soulevant leur des rond au-dessus des chaumes ras… Pauvres tombes, presque toujours anonymes, sur lesquelles, hélas ! nulle femme en deuil ne viendra s’agenouiller, et qui, si vile, disparaîtront sous l’herbe tenace ou les cultures. Quand les blés seront hauts, l’an prochain, le passant sur la route ne les apercevra même plus…

A Normée et à Lenharée, la bataille fut particulièrement violente. Pas un bâtiment n’est debout. On lutta dans les