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NIETZSCHE ET LA GUERRE.

race latine et la race slave vont prétendre continuer d’exister en face de la race germanique, c’est-à-dire en face d’une culture et d’une civilisation supérieures. » À quoi l’ecclésiastique de répondre : « Et nous, sommes-nous donc sans culture ? Et les Belges ? — Oh ! parfaitement ! Je la connais, votre culture, je lis vos auteurs. Mais c’est une culture inférieure, la flamande aussi !... Oui, c’est entendu ! Vous êtes bons, vous soignez bien nos blessés. Mais que voulez-vous ? Vous êtes des êtres inférieurs, destinés à être absorbés. »

Ainsi parlait Zarathoustra, n’est-il pas vrai ?

Et même il avait soin de désigner à mots couverts la juste victime de l’ambition des forts, la proie légitimement offerte à leurs convoitises. Afin que nul n’en ignore, cette proie se trouve « là où la vie a son développement le plus mesquin, le plus étroit, le plus pauvre, le plus rudimentaire, et où, pourtant, elle ne peut faire autrement que de se prendre elle-même pour la fin et la mesure des choses, que d’émietter et de mettre en question furtivement, petitement, assidûment, ce qui est plus noble, plus grand, plus riche[1]... » Ces gens, qui mettent en question petitement ce qui est grand et noble, ô mes frères de France et d’Europe, c’est nous-mêmes, n’en doutons pas !

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Dès maintenant, des symptômes politiques non équivoques encouragent les espoirs des forts. Le socialisme et le nationalisme s’entendent admirablement à façonner les races inférieures pour la domination des aristocraties de l’avenir. Le socialisme surtout excelle à déviriliser, à abêtir et à domestiquer les masses. Et ainsi « tandis que la démocratisation de l’Europe aboutira à la création d’un type préparé à l’esclavage, ... l’homme fort deviendra nécessairement plus fort et plus riche qu’il ne l’a peut-être été jusqu’à présent, grâce au manque de préjugés de son éducation, grâce aux facultés multiples qu’il possédera dans l’art de dissimuler et dans les usages du monde. » — À ce manque de préjugés, à cet art de dissimuler, qui caractérisent l’homme fort, s’ajouteront les voyages et la vie cosmopolite, pour parachever son éducation. Derrière le

  1. Par delà le bien et le mal', p. 258 et suiv.