Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quatre personnes dans un pays où nous arrivions. Elles étaient dans la cave d’une maison qui achevait de brûler et de s’écrouler ; il a fait un trou et les a sorties.

« Ils bombardent les maisons et les églises, même s’il n’y a pas de troupes. Tous les soirs, ils envoient des bombes-fusées pour allumer les villages, afin de repérer leur tir. La nuit, ça brûle sur tout l’horizon ; on est entouré d’un cirque d’incendies. »

Un soldat du même groupe me donne son impression des premiers combats : « Tant qu’on a pas tiré, on reste, mais on s’effraie d’avance de ce qui va arriver. Une fois le feu commencé, on n’est même plus assez prudent. » Je lui demande ce qu’il pense de cette terrible bataille de trois semaines, et s’il croit que la fin approche : « Je n’en sais rien, répond-il. On est là ; on a un objectif ; on s’y applique. On ne sait pas ce qui se passe à trois ou quatre cents mètres. »


5 octobre.

On apprend avec satisfaction que le Président de la République, le ministre de la Guerre, et M. Viviani sont partis rendre visite aux armées. Il est de bon augure que « les circonstances permettent aujourd’hui ce déplacement. »

Un petit trait que j’ai constaté ce matin met assez bien en relief l’excellence des rapports qui règnent entre nos soldats et leurs officiers, l’affection et le dévouement dont ils les entourent.

Parmi les objets qu’a retirés de ses poches un chef de bataillon grièvement blessé, je remarque une noix : « Ça vous étonne ? me dit-il. C’est un soldat qui me l’aura donnée. Aux périodes de bataille, les officiers n’ont pas le temps de songer à la nourriture ; nos soldats y pourvoient. Quand on passe dans un village, ils ont le temps de faire de petits achats. Alors, tantôt l’un, tantôt l’autre, nous offre spontanément de ce qu’il a : un bout de pain, du chocolat, des fruits, du sucre. Vous n’avez pas idée de ce qu’ils sont gentils pour nous. Mais c’est surtout quand nous sommes blessés ! Sous n’importe quelle mitraille ils se précipitent pour nous ramasser. Moi, par exemple, aussitôt tombé, ils m’ont enlevé et transporté sur deux fusils pendant 5 kilomètres, sous une pluie d’obus. C’est réciproque, d’ailleurs, et leur confiance égale leur dévouement. Dès qu’ils sont blessés, ils recourent à nous, ils appellent leur chef de section : « Ne « me laissez pas ! » Ah ! les braves enfans ! »