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plus riches de l’Asie-Mineure, si l’on applique à la propriété bâtie et aux revenus de la terre la proportion de la population, on est certain de rester au-dessous de la vérité ; on peut se rendre compte ainsi partiellement de l’ordre de grandeur minimum du désastre qui vient de frapper ces régions de l’Anatolie. Plus de 75 millions pour les propriétés bâties et le bétail seulement, plus de 13 millions pour le revenu annuel de la terre.

Le nombre des villes, villages, tchiflicks (fermes) évacués et saccagés, dont j’ai recueilli, à Smyrne et à Mytilène, des nouvelles directes et positives, s’élevait à la fin de juin à 63 pour la seule région comprise dans le vilayet d’Aïdin[1]. Les notes que j’ai rassemblées, les dépositions que j’ai reçues empliraient un volume. Je m’en tiendrai à des indications générales, qui, malgré la disproportion entre les pages que je leur consacre et celles où j’ai décrit les événemens phocéens, permettront de remettre ceux-ci à leur place, dans le mouvement beaucoup plus ample dont ils font partie, et fourniront quelques données pour une histoire qui reste entièrement à faire.

En ce qui concerne la côte anatolienne de la mer de Marmara, j’ai le témoignage de deux étrangers : un ingénieur français et un membre du corps diplomatique de l’une des Grandes Puissances. Ils ont vu l’état où se trouvait Phocée, après le sac de la ville, et m’ont déclaré que les villes et les villages de cette région, qu’ils ont visités quelques jours après les événemens, présentaient exactement le même aspect ; les églises avaient subi des violences plus graves. Les faits y ont été accomplis du 12 au 16 juin. Une partie des expulsés était restée sur la côte en attendant le passage d’un navire. A la suite des instructions de Talaat Bey, lors de son voyage en Asie-Mineure, ils ont été repoussés par violence, à coups de crosse, dans leurs villages déserts et en partie détruits, sans provisions, sans aucun moyen d’existence ; on les empochait d’en sortir ; ils criaient famine.

Dans la région des Dardanelles et de la Troade, les événemens se sont produits plus tôt ; ils ont commencé à la fin du mois de mai. C’est à la suite des violences et des expulsions qui s’y sont produites que, le 18 juin, le patriarche œcuménique, en manière de protestation, a décidé la fermeture des

  1. Dont le gouverneur général (vali) réside à Smyrne.