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(Que Dieu nous accorde la grâce de voir notre Roi
Constantin s’agenouiller dans Sainte-Sophie ! )


Puis un vers d’une chanson amoureuse :


To dactilidhi to phoro kié séna silogiémé
(Je porte ton anneau et je pense à toi.)


Doux accens qui montent dans le calme du soir, et couvrent les souvenirs sanglans ; l’âme des vieux Hellènes, héroïque et sereine, anime et réconforte encore ces désespérés.

A Mytilène, c’est l’animation d’une foule inquiète, qui circule parmi les groupes de réfugiés couchés sur le sol, dans les rues, dans les jardins, à l’école, dans les cours des églises. Quatre mille de ces malheureux ont été recueillis depuis dix jours. On craint que les ressources de l’île ne permettent pas d’en recevoir davantage. Nous sommes le 19 et je lis dans les journaux la note du 18 adressée par S. A. le grand vizir à M. Panas, ministre de Grèce à Constantinople[1] :

« La surexcitation dernièrement constatée parmi certaines populations d’Asie-Mineure se trouve à la veille d’être complètement dissipée. Nous en voyons déjà la preuve dans ce fait que les populations, qui avaient, au début, manifesté le désir de quitter le sol ottoman, regagnent aujourd’hui leurs foyers en toute sécurité. D’ailleurs, le gouvernement impérial a prouvé combien il tenait à sauvegarder la sécurité et la tranquillité de tous ses sujets, sans distinction de race ni de religion, ainsi que celles des étrangers habitant son territoire. »

Insigne duplicité, abominable mauvaise foi ! Ces paroles sont celles que l’Europe a voulu qu’on lui dit : elles y produisent l’effet qu’on en attend.

Je regagne Phocée, où j’arrive le 20 au matin. S. E. Talaat Bey y est passé le 16. Il a révoqué le caïmacam pour n’avoir pas pris des mesures suffisantes au maintien de l’ordre. Je le crois bien ! Comment sa garnison de trente gendarmes aurait-elle suffi à défendre la ville contre les envahisseurs ? Quelle autorité possédait-il pour s’opposer à des ordres supérieurs ? Les gendarmes, envoyés par Rahmy Bey avec l’évêque, avaient, comme ceux de Phocée, l’ordre de ne pas intervenir et sans doute de coopérer au besoin avec les bandes ; sauf Achmet, le garde du

  1. Voyez le Temps du 20 juin 1914.