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de leur dernier avoir. Ils arrachent par la force à de vieilles femmes des paquets de hardes, qu’elles veulent emporter dans leur exode, fouillent hommes, femmes, enfans, pour leur prendre les bourses ou les petits paquets de bijoux qu’ils ont dissimulés. La colère nous gagne et nous enjoignons à un officier de gendarmerie, qui contemple impassiblement ces scènes, de mettre fin à ces actes honteux. Il ne nous répond pas. Nous lui déclarons énergiquement que, si ce brigandage continue, nous abattrons le premier qui s’en rendra coupable et qu’il ne sera pas lui-même épargné. Cette menace, le ton sur lequel nous l’avons proférée suffisent : autour de nous aucun expulsé n’est plus molesté ; mais il n’en est pas de même plus loin de nos yeux.

À ce moment, les blessés commencent à affluer dans nos maisons ; un grand nombre ont été embarqués en hâte, sans que nous ayons pu leur donner nos soins, surtout dans la partie de la ville située en dehors de nos chantiers. En l’absence de tout médecin (le médecin municipal était alors occupé à prendre part au pillage, il est accusé de plusieurs meurtres), nous prenons sur nous d’effectuer de hâtifs pansemens. Nous pouvons affirmer qu’à part deux ou trois exceptions, tous ces blessés ont dépassé soixante ans. Il y a parmi eux de vieilles femmes de quatre-vingt-dix ans, qui ont reçu des coups de fusil ; une septuagénaire est étendue dans la rue, paralysée par les coups qu’elle a reçus : elle présente deux grandes plaies au crâne causées par des crosses de fusil, ses mains sont tailladées, sa face tuméfiée. Une jeune fille, à qui les agresseurs ont réclamé de l’argent, ayant donné tout ce qu’elle possédait, a été gratifiée de deux coups de couteau, l’un à l’avant-bras, l’autre au bas des reins ; la dernière de ces plaies est profonde. Un vieillard absolument impotent a reçu un tel coup de crosse de fusil sur la main gauche que ses doigts ont éclaté. Un autre a reçu un coup de couteau sur le crâne et n’a dû qu’à un mouvement fortuit de n’avoir pas la gorge tranchée par un second coup, qui lui a entamé le menton. Un vieillard paralytique a été trouvé cloué sur son lit, assassiné sans défense. Une femme nous est apportée mourante : elle a été violée par dix-sept Turcs. On nous affirme que les misérables ont emmené avec eux, dans la montagne, plusieurs jeunes filles, sous les yeux desquelles on avait tué le père et la mère. Ainsi que l’a écrit mon compagnon