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premiers jours de juillet, quelques semaines avant qu’éclatât le formidable coup de tonnerre qui a bouleversé l’Europe et dont le retentissement vient de se propager jusqu’à ces rivages mêmes de l’Asie. J’estime maintenant qu’en relatant les faits dont j’ai été témoin, en livrant à l’opinion les informations que j’ai rassemblées, je n’engage plus que moi-même. Trop longtemps le silence a été gardé. Il importe à l’histoire, à la justice, à l’humanité, au renom de probité et d’honneur de la France dans le monde, que mon témoignage soit entendu.

Mes notes rédigées au début de juillet avaient un caractère exclusivement documentaire. Refoulant le mépris et la colère qu’avaient soulevés en moi la duplicité et la sauvagerie de ces nouveaux barbares d’Orient, je les avais composées sans passion, dans l’unique souci d’apporter une attestation précise et incontestable. J’aurais pu aujourd’hui développer ce travail, laisser éclater toute mon indignation, attirer l’attention sur les nombreuses et étonnantes analogies qu’appellent les procédés mis en œuvre par les Jeunes Turcs sur cette vieille terre de culture antique et ceux que leurs instigateurs viennent de déchaîner, avec plus de Kultur scientifique, mais non moins de barbarie, dans l’Occident latin. On ne peut pas, en effet, ne pas être frappé par le parallélisme des sentimens et des faits, que présentent les ravages turcs en Asie-Mineure et la brutale agression des Allemands sur la Belgique et le nord-est de la France : c’est la même fourberie et la même duplicité diplomatique, le même mépris du droit, le même cynisme, le même mélange d’arrogance et de platitude, le même esprit de destruction à l’égard des antiquités et des œuvres d’art. La haine du Turc pour le Chrétien a son équivalent dans celle du Germain pour le Latin, l’appel à la guerre sainte du Prophète dans l’invocation mystique du vieux Dieu allemand. Les méthodes sont identiques : acharnement à provoquer l’affolement parmi les populations, horreurs perpétrées froidement et méthodiquement par ordre et par devoir. On retrouve l’identité des moyens jusque dans certains détails : comme la propagation de l’incendie dans les villes au moyen de pétrole injecté par des pompes, les méthodes de pillage, la préparation et l’organisation de moyens de transport pour évacuer les produits, du vol, etc.

Mais j’ai préféré laisser à mon travail sa forme primitive.