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Le traité de Francfort avait attribué à l’Allemagne victorieuse deux provinces françaises, et essayé de transformer en Allemands deux millions d’hommes résolus à rester Français. Jadis, au XVIIe et au XVIIIe siècle, en 1815 même, de tels partages pouvaient se pratiquer et durer. Les gouvernemens répartissaient entre eux des populations humaines comme des bergers se distribuent les moutons de leurs troupeaux. Mais peu à peu, par suite d’une évolution intellectuelle progressive, les âmes des peuples ont pris conscience d’elles-mêmes ; les nationalités opprimées ont opposé à l’oppression une résistance irréductible. Cela s’était déjà vu pour la Pologne, qui n’avait pas voulu mourir, qu’on n’avait pas pu tuer, et qui, grâce à l’admirable décision de Nicolas II, est plus vivante que jamais. Et cela se voit pour l’Alsace-Lorraine qui, arrachée à la France par la force, n’a pas cessé de vouloir être française. De là un trouble et une inquiétude qui rendaient la paix toujours précaire et la guerre toujours menaçante.

Et pourtant, la France a, pendant quarante-trois ans, presque un demi-siècle, non seulement consenti à la paix, mais voulu la paix. Elle n’a rien eu d’agressif ni de belliqueux à se reprocher. Et son silence a été héroïque. Elle n’a augmenté ses arméniens que lorsque l’Allemagne a accru ses dépenses militaires dans des proportions redoutables. Elle n’a fait alliance avec la Russie que pour se défendre contre une attaque vraisemblable. Il est vrai, elle a étendu son domaine colonial et a longtemps occupé son activité en Tunisie, au Tonkin, à Madagascar, au Maroc. Mais sa politique, civilisatrice hors d’Europe, a été pacifique en Europe, respectueuse d’un statu quo qu’elle ne pouvait changer sans troubler la paix du monde.

Malgré tout, la raison ne parvenait pas à étouffer le sentiment. La question de l’Alsace-Lorraine pesait sur toute politique. La formule même que les pacifistes avaient adoptée : La paix par le droit, était à elle seule un symbole et un programme : car le mot droit n’a plus, dans la conscience moderne, le même sens qu’autrefois. Le droit ne résulte plus seulement des traités, mais aussi, et avant tout, de la volonté des peuples. Metz et Strasbourg protestaient contre leur annexion à l’Allemagne, et nos cœurs protestaient avec Metz et Strasbourg. Il