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pour nous attaquer. Des batailles qui se prolongent au-delà d’une semaine ; et pas de trêve pour ensevelir les morts, pour relever les blessés ! On s’y efforce pourtant sous la pluie des schrapnels et des balles, mais ils sont trop ; et, si l’on ne reste maître du terrain, il faut en abandonner. L’ennemi parfois s’occupe d’eux. Il en achève ; il en soigne aussi. Parfois il s’éloigne lui-même, et de longtemps personne ne vient. Combien de jours en a-t-on glané, aux environs de Meaux, dans les maisons désertes, sur les collines et dans les bois !

J’ai noté, à la date du 21, un récit qui jette quelques lueurs sur cet abandon. Encore, celui qui y parle avait-il non loin de lui des compagnons de souffrance et une promesse de secours. Mais ceux qui ne voient personne, ceux que personne n’entend, ceux qui ne savent pas si quelqu’un viendra, ceux qui se sentent mourir complètement seuls, ou parmi des morts…


26 septembre.

Une vingtaine de blessés nous sont venus hier des batailles de l’Aisne. Décidément, l’on nous réserve les plus mauvais cas, et l’on a bien raison de ne pas les expédier trop loin.

Un brave petit zouave, cultivateur des environs du Puy, blessé aux deux jambes il y a quatre jours, raconte son histoire avec beaucoup de calme :

« Je suis tombé du côté de Soissons, quand on essayait de chasser les Allemands. Ils sont retranchés dans des carrières. Nous commençons à y envoyer des obus.

« J’ai fait dix-huit mois de Maroc. J’ai été blessé le 4 juin à la cuisse gauche ; guéri après trois semaines d’hôpital. On est parti le 1er septembre. Débarqué à Cette ; passé par Bordeaux, Rouen, Amiens, Clermont de l’Oise, où l’on est descendu de chemin de fer. Après une journée de marche et une nuit d’étape, on est parti pour les déloger de Noyon. On les a trouvés le soir. Tout de suite on a enlevé un village. — Vous étiez contens de les rencontrer ? — Ah ! oui, surtout qu’on avait envie d’en sabrer quelques-uns. Nous, on était en seconde ligne, pour la contre-attaque, si bien que cette première fois, je n’ai seulement pas pu tirer un coup de fusil. On a couché dans les tranchées. On s’est encore battu six jours. — Il faut bien s’interrompre pour manger ? — Voilà : quand on peut, c’est chacun son tour à l’arrière-garde pour manger et se