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contient une réponse indirecte et presque sous-entendue à M. Sazonoff, de telle sorte qu’il est impossible de la bien comprendre sans avoir lu la dépêche no 58 du Livre Orange. M. Sazonoff, dans la conversation qu’il avait eue l’après-midi avec l’ambassadeur d’Allemagne, avait dit que la Russie ne pouvait suspendre sa mobilisation, car elle ne l’avait résolue qu’à la suite de la mobilisation de l’Autriche. L’Empereur d’Allemagne répond que l’Autriche-Hongrie n’a mobilisé qu’une partie de son armée, et contre la Serbie. Quant à la seconde conversation entre M. Sazonoff et l’ambassadeur d’Allemagne, l’heure à laquelle elle eut lieu, — deux heures du matin, — montre bien à quel point le gouvernement allemand était pressé et impatient d’arriver à une décision. La dépêche no 60 du Livre Orange et la dépêche no 103 du Livre Jaune prouvent en outre que le sujet traité fut le même que celui de la conversation de l’après-midi : la suspension de la mobilisation. L’ambassadeur d’Allemagne insista pour démontrer à M. Sazonoff, comme le dit la dépêche de l’Empereur d’Allemagne, les graves dangers et les sérieuses conséquences d’une mobilisation ; mais, quand il s’aperçut que la résolution du gouvernement russe était inébranlable, il ne put cacher son émotion. Évidemment, l’ambassadeur d’Allemagne avait cru, jusqu’à cette minute, que le gouvernement russe céderait, plus ou moins complètement, comme en 1909 : il n’avait point fait sa démarche de l’après-midi du 29 dans l’idée que la guerre européenne en sortirait. Au moment où il comprit les terribles conséquences de la communication faite par lui le jour précédent, il eut un accès de larmes. Personne ne lui reprochera ce moment de faiblesse : les circonstances le justifient complètement.

Par malheur, c’était trop tard. Depuis ce moment, aucune volonté n’a plus été capable de diriger les événemens. Les pourparlers entre la Russie et l’Autriche continuèrent le 30 et le 31 ; et un instant, le 31, ils semblèrent sur le point d’aboutir. Pris par des hésitations et des craintes malheureusement trop tardives, le gouvernement autrichien faisait savoir à la Russie qu’il consentait à discuter avec les Grandes Puissances de l’Europe toute la matière de son ultimatum[1]. Un moment on espéra à Londres et à Paris pouvoir encore éviter la

  1. Great Dr., doc. n. 131.