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que M. de Jagow avait déclaré à M. Jules Cambon que l’Allemagne ne mobiliserait pas, tant que la Russie mobiliserait seulement sur les frontières autrichiennes ; que la Russie ne pouvait pas avoir oublié la brusque intervention de l’Allemagne dans le conflit de 1909 pour la Bosnie-Herzégovine, ni la brutalité avec laquelle, en sortant de sa réserve d’alliée, elle avait pris, au moment décisif, le premier rôle. Il ne faut pas en outre oublier que la Russie à ce moment, dans l’après-midi du 24, avait décrété seulement la mobilisation sur la frontière autrichienne, sans l’avoir commencée[1] et que l’Autriche-Hongrie, bien plus intéressée dans la question que l’Allemagne, n’avait pas encore soulevé la moindre objection contre les projets russes de mobilisation. Cette démarche signifiait donc, aux yeux du gouvernement russe, que l’Allemagne voulait répéter le coup de 1909 : obtenir par la surprise et par la menace la capitulation de la Russie. La Russie ne voulant pas, cette fois, capituler, ses rapports avec l’Allemagne, comme devait le dire le 30 l’ambassadeur de Russie à Sir Ed. Grey, changèrent entièrement après cette conversation[2]. Le gouvernement russe, qui depuis le 28 avait commencé à soupçonner les intentions de l’Allemagne, se persuada que le parti de la guerre l’emportait à Berlin et dès ce moment, comme M. Sazonoff le dit dans la dépêche n° 58, il considéra la guerre comme inévitable, parce que l’Allemagne ne pouvait répondre à son refus qu’en exécutant sa menace de mobiliser. Et la mobilisation de l’Allemagne signifiait la guerre.

Si l’on peut interpréter de différentes manières les oscillations de la politique allemande depuis le 23 juillet, il n’est point douteux que la démarche faite par l’ambassadeur d’Allemagne à Saint-Pétersbourg dans l’après-midi du 29 a été l’acte décisif et irréparable qui a déchaîné la guerre européenne. Les étranges questions posées le soir du 29 par le Chancelier de l’empire à l’ambassadeur anglais nous le prouvent. Pour quelle raison le Chancelier était-il allé à Potsdam, dans l’après-midi du 29 ? N’y serait-il pas allé, par hasard, porter à l’Empereur la dépêche de l’ambassadeur d’Allemagne à Saint-Pétersbourg qui avait annoncé la réponse négative de M. Sazonoff sur la mobilisation ? La supposition semble vraisemblable. Il n’est

  1. White German Book. p. 10. —
  2. Livre Orange, doc. n. 61. Voir aussi l’importante dépêche de M. Paléologue dans le Livre Jaune, n. 100.