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L’ambassadeur de France et moi, nous avons rendu visite au ministre des Affaires étrangères ce matin (le 30). Son Excellence nous a raconté que hier, dans l’après-midi, l’ambassadeur d’Allemagne lui a dit que l’Allemagne était prête à garantir pour le compte de l’Autriche-Hongrie l’intégrité de la Serbie : M. Sazonoff a répondu que, malgré cela, la Serbie pourrait tomber dans le vasselage de l’Autriche, comme Bokhara est tombé dans le vasselage de la Russie ; et qu’une révolution éclaterait en Russie, si le gouvernement tolérait une telle chose.

M. Sazonoff ajouta que l’Allemagne faisait des préparatifs militaires contre la Russie, — surtout dans la direction du golfe de Finlande. Le gouvernement en avait des preuves d’une certitude absolue.

L’ambassadeur d’Allemagne eut une seconde conversation avec M. Sazonoff dans la nuit, à deux heures du matin. L’ambassadeur a eu une violente crise de larmes (completely broke down) quand il s’aperçut que la guerre était inévitable. Il supplia alors M. Sazonoff de suggérer quelque chose qu’il put télégraphier à son gouvernement, comme un suprême espoir. Pour le contenter, M. Sazonoff écrivit en français et lui donna la formule suivante : « Si l’Autriche, reconnaissant que la question austro-serbe a assumé le caractère d’une question européenne, se déclare prête à éliminer de son ultimatum les points qui portent atteinte aux droits souverains de la Serbie, la Russie s’engage à cesser ses préparatifs militaires. »

Si cette proposition est repoussée par l’Autriche, on décrétera la mobilisation générale. La guerre européenne sera alors inévitable. L’excitation ici est telle que, si l’Autriche ne fait pas de concessions, la Russie ne pourra plus reculer. Comme la Russie sait que l’Allemagne se prépare, elle ne peut tarder beaucoup à convertir sa mobilisation partielle en mobilisation générale[1].


La dépêche envoyée de Saint-Pétersbourg, le 30, par M. Paléologue, n’est pas moins importante (Livre jaune, n. 103).


L’ambassadeur d’Allemagne est venu cette nuit insister de nouveau, mais dans des termes moins catégoriques, auprès de M. Sazonoff pour que la Russie cesse ses préparatifs militaires, en affirmant que l’Autriche ne porterait pas atteinte à l’intégrité territoriale de la Serbie.

« Ce n’est pas seulement l’intégrité territoriale de la Serbie que nous devons sauvegarder, a répondu M. Sazonoff, c’est encore son indépendance et sa souveraineté. Nous ne pouvons pas admettre que la Serbie devienne vassale de l’Autriche. »

M. Sazonoff a ajouté : « L’heure est trop grave pour que je ne vous déclare pas toute ma pensée. En intervenant à Pétersbourg, tandis qu’elle refuse d’intervenir à Vienne, l’Allemagne ne cherche qu’à gagner du temps, afin de permettre à l’Autriche d’écraser le petit royaume serbe avant que la Russie n’ait pu le secourir. Mais l’Empereur Nicolas a un tel, désir de conjurer la guerre que je vais vous faire en son nom une nouvelle proposition :

  1. Great Br., doc. n. 97.