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de sa colère que de sa blessure, partageant ses imprécations entre le traître qui lui enlève et les amis qui n’ont pas su lui garder l’inestimable vie. Le héros des chansons de geste, Roland, lorsqu’après avoir exposé son corps vulnérable, et, parce que vulnérable héroïque, à la foule des Sarrazins, il sent venue sa dernière heure, entre dans le calme de l’œuvre achevée et de l’espérance proche. Il brise Durandal pour que l’épée ne tombe jamais en de mauvaises mains, et, après avoir frappé sa poitrine, il tend vers Dieu son gant, en vaincu obligé de se rendre, mais qui se rend à son seul maître, en vassal fidèle par-delà la mort.

Le nom même donné à l’épopée germanique est un symbole de toutes ces différences. Les Nibelungen sont des chercheurs de trésor. Le trésor possédé par eux a pris leur nom. Eux et le butin s’appellent de même, comme s’ils formaient un seul tout. C’est le trésor que les héros allemands se disputent. En vain ils savent sa possession funeste, c’est la cupidité plus forte qui fait sortir du fourreau les épées, et le maître de cette vaillance est l’or. Dans les chansons de geste, il y a des cupides. Mais l’or n’est pas le seul ni le plus puissant maître, on évalue autrement la valeur des biens, et, quand on les compare, c’est pour conclure :

Li cuers d’un homme vaut tout l’or d’un pays.


ETIENNE LAMY.