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françaises se taisent. Les Allemands reviennent chercher leurs canons et nous emmènent avec ; trois ou quatre kilomètres sur des civières, avant d’atteindre la grande route. Là, ils nous chargent sur une voiture. Nous étions bien 25 Allemands et quelques Français, serrés, serrés. Ma jambe n’était pas étendue ; je souffrais. Il y avait un sous-officier français qui s’est trouvé mal deux fois. »

Ici le narrateur interpelle son compagnon de misère, à présent son voisin de lit : « Comment s’appelait ce village qui était tout en feu ? — Je ne sais pas, dit-il, mais je me rappelle que ça nous chauffait. »

Le récit reprend : « Sur toute la route ça sentait le cadavre : une vraie infection. Vers les minuit, une heure, on arrive au village de Cuvergnon où ils avaient leur ambulance. Les majors nous ont défaits et bien pansés. Puis ils m’ont mis sous un hangar, en plein air. Il pleuvait ; moi, j’étais mouillé parce que j’étais sur le bord. Mais ils ne nous ont pas donné à manger. Rien de toute la journée, excepté un peu d’eau à boire.

« Nous y passons la nuit et le jeudi matin. L’après-midi, sur les 3 ou 4 heures, ils nous mettent tous, Français et Allemands pêle-mêle, dans une ferme qui n’était pas loin. Dans la soirée, ils nous ont donné des os, rien après. Pas de pain ; ils n’en avaient seulement pas pour eux.

« Dans la nuit du jeudi, ils partent sans rien dire. On avait vu un soldat qui faisait son sac dans la chambre. Ils laissent tous les blessés là : six Français et trente-cinq Allemands, dont quatre officiers.

« Le vendredi matin, pour commencer, nous voyons arriver les gendarmes qui vont aussitôt prévenir le maire. On nous met dans une autre maison, les Français à part. Quelques instans après, nous voyons arriver un régiment français. Ah ! quelle joie, vous pouvez le dire ! Le colonel nous félicite, nous embrasse, nous promet qu’on va nous prendre dans les ambulances. Les gens de l’endroit nous font manger. Une dame du pays nous lave, nous panse, en attendant les ambulanciers. Ce qu’elle était brave, cette dame ! Une sainte femme.

« Alors, c’est le samedi qu’une ambulance est venue pour les premiers convois. Nous, on nous conduit le soir, avec un officier allemand, à Crépy-en-Valois, où il y avait de bonnes religieuses. De là, le dimanche, les automobiles américains nous