Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas bien bonne et le serait encore moins aujourd’hui que la Roumanie a un nouveau souverain. Cependant elle a continué de ne pas bouger. A notre sentiment, elle a tort et, si elle laisse passer le moment opportun, le gouvernement actuel et la dynastie elle-même encourront une responsabilité qui sera très lourde pour eux.

Mais il y a un autre côté de la question : la Roumanie se regarde comme garante du traité de Bucarest, qui a été fait sous ses auspices et qu’elle considère à bon droit comme son œuvre. Il est fort probable que, si elle déclarait la guerre à l’Autriche, la Bulgarie ne resterait pas indifférente et inerte et qu’elle sortirait de la neutralité. Dans quel sens ? On ne peut pas le dire avec certitude : la seule chose sûre est que les scrupules ne l’embarrasseraient pas ; elle a montré avec éclat qu’elle était au-dessus de semblables préjugés, et il est hors de doute que, pour elle comme pour certains autres, les traités sont des chiffons de papier. Les hésitations de la Bulgarie peuvent paralyser la Roumanie ; mais, dans toutes les hypothèses, la folie belliqueuse de la Porte amènera un peu plus tôt ou un peu plus tard dans les Balkans des changemens inévitables avec tout un cortège de difficultés. Que la Bulgarie cherche à y trouver son profit, rien n’est plus naturel. On pourrait l’encourager à faire la guerre à la Porte pour lui reprendre Andrinople ; mais qui sait ce qui arriverait ? La Porte, même dans l’état où elle est tombée, n’est pas pour la Bulgarie un adversaire négligeable, et la Bulgarie ne veut cette fois jouer qu’à coup sûr. Elle émet des exigences pour prix de son concours, et même, dit-on, de sa neutralité. La neutralité lui conviendrait particulièrement : ne rien faire et obtenir la cession de la Macédoine, qu’elle appelle une restitution, comblerait sans doute ses vœux ; mais on ne peut lui faire de semblables promesses que dans le cas où la Serbie se serait déjà assuré des compensations en Herzégovine, et en Bosnie, et, en attendant, la Bulgarie, qui se connaît assez elle-même pour se défier des autres, demande des gages. A trop exiger, elle s’expose à ne rien avoir : l’occasion lui est favorable, nous le voulons bien, mais il ne faut abuser de rien et la meilleure occasion devient mauvaise lorsqu’on en abuse ou qu’on la violente. La Bulgarie en a déjà fait l’expérience. Nous en disons assez pour montrer que l’initiative militaire prise par la Porte a créé une situation nouvelle et que les Balkans sont redevenus un nid d’intrigues. Il est possible qu’il n’en sorte rien d’immédiat, il est probable qu’il en sortira quelque chose et cette probabilité augmentera si la Bulgarie n’arrête pas tout par des prétentions exagérées. A nos yeux, l’intérêt