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choisi d’avance et où les chances de victoire sont plus grandes. Mais l’opinion publique, énervée par une longue attente, éprouve parfois à l’excès le contre-coup immédiat des événemens et, quelque inébranlable que soit sa confiance dans le succès définitif, elle s’émeut de tout ce qui paraît le contrarier ou le retarder. Dans le cas dont il s’agit, elle a été bientôt rassurée. Les nouvelles de Pologne sont redevenues bonnes. L’armée russe reprend l’avantage et, à leur tour, les Allemands reculent du côté de leur frontière. Nous nous en réjouissons de tout cœur ; et si, dans l’avenir, les Russes éprouvent de nouveau, sur un point quelconque, un de ces accidens comme il en arrive inévitablement dans une longue guerre, nous n’en serons pas plus inquiet qu’il ne faudra. Nous avouons d’ailleurs modestement qu’à moins d’être un géographe de profession, il est parfois difficile de suivre dans tous les détails les mouvemens des armées russes. Les noms de villes que nous apportent les télégrammes ont des orthographes différentes dans les différens atlas, et lorsque nous lisons, par exemple, qu’on signale un recul allemand sur la ligne Strykois-Igierz-Szadek-Zdunska-Voola-Woskini, notre pensée a une peine infinie à s’y retrouver. Il nous suffit de savoir que les armées russes sont aujourd’hui en bonne forme. Toutes attirent vivement notre attention parce que le sort de chacune d’elles est lié à celui des deux autres ; mais celle des trois sur laquelle les yeux se portent de préférence est celle du Sud, l’armée de Galicie, qui arrive en ce moment à Cracovie. On assure que la ville de Przemysl est sur le point d’être prise : elle ne peut pas tenir au-delà de quelques jours. Après cela, l’armée russe n’aura plus de préoccupations sur ses derrières. Cracovie ouvre le chemin de la Silésie et de Breslau : c’est la porte de l’Allemagne, c’est le chemin de Berlin. Mais le chemin est long et semé d’obstacles. Les illusions que nous avons eues au commencement de la guerre sur la rapidité avec laquelle l’armée russe pourrait le parcourir n’ont pas résisté à l’épreuve des faits. Ni les Russes ni nous ne sommes au bout de nos peines ; mais, dans une guerre, le jugement à porter sur les chances de succès des armées en présence est le résultat de la comparaison qui s’établit entre elles, et ni nous, ni les Russes, ni les Anglais, ni les Belges ne voudrions, à coup sûr, changer de place avec celle des Allemands et des Autrichiens. La conclusion est facile.

De nouveaux élémens se sont mêlés, on le sait, et peuvent se mêler encore à cette guerre qui se poursuit sur une surface déjà immense : l’Allemagne a persuadé à la Turquie de s’y jeter sans