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investirait Dunkerque, Bergues et Gravelines, se baserait ensuite sur Nieuport, Dunkerque et la flotte anglaise, et, tournant par l’Ouest presque toutes les places de la frontière, avancerait sur Abbeville et Paris. Depuis que le grand Roi a fait ce plan, les temps ont certes changé ; mais les grands principes de la guerre sont restés et la pensée qui a inspiré ce plan de campagne garderait encore aujourd’hui sa signification dans les mêmes conditions politiques. » On aperçoit tout de suite les ressemblances entre le présent et le passé ; elles sautent aux yeux en quelque sorte, et l’état-major allemand en a été ébloui jusqu’à en être aveuglé ; il n’a pas vu les différences, qui sont pourtant très sensibles Sans doute, la principale armée française est aujourd’hui en Flandre et l’armée allemande a pu partir de Bruxelles comme dans le plan de Frédéric ; mais, pour aller plus loin, elle aurait dû d’abord nous battre : elle ne l’a pas fait ; notre flotte n’a pas été battue davantage et, la flotte allemande n’étant pas maitresse de la mer, les armées de terre allemandes ne peuvent pas s’appuyer sur-la côte. L’état-major de Guillaume II, s’il s’est inspiré du plan du grand Frédéric, n’a oublié qu’une chose, qui est à la vérité d’une souveraine importance, c’est que l’Angleterre est son ennemie et que la Hollande est neutre. Négligeons, si l’on veut, la neutralité de la Hollande, bien que Frédéric ait raisonné dans l’hypothèse où ce pays lui donnerait un concours qu’il jugeait indispensable. Reste l’Angleterre. Si l’Allemagne l’avait eue avec elle, elle aurait certainement battu la flotte française ; mais l’Angleterre est aujourd’hui avec nous ; ce n’est pas l’armée allemande, mais l’armée franco-anglaise qui s’appuie sur la côte et y est soutenue par la flotte des deux pays ; dès lors, le plan du grand Frédéric s’effondre. Guillaume II a voulu l’exécuter tout de même, en quoi, il a seulement prouvé qu’il n’était pas le grand Frédéric. Frédéric mêlait beaucoup de bon sens et une parfaite justesse de calcul à ses hardiesses : il n’aurait pas cherché à aller à Calais le long de la côte, entre l’armée de terre et la flotte anglo-française ; il ne sèmerait pas orgueilleusement obstiné dans une combinaison irréalisable ; les circonstances politiques et militaires n’étant plus les mêmes, il aurait fait un autre plan.

Même aujourd’hui, il ne semble pas que l’empereur Guillaume soit disposé à en faire un autre ; l’action s’est, ralentie assez sensiblement et elle se réveille, comme par- sursaut, tantôt sur un point, tantôt sur un autre de son armée, sans qu’on puisse dire encore avec certitude où l’effort principal se portera définitivement, mais tout donne à croire que ce sera encore entre Ypres et la mer. On avait