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œuvres, des découvertes récentes aient permis de rectifier les dates ainsi proposées. Oui, mais l’autorité de Kœchel était là, contre laquelle pas un des compatriotes du vénérable géologue n’a encore jamais osé s’aventurer. Si bien que la nouvelle édition du Catalogue nous présente, en trois ou quatre endroits, un spectacle à la fois imprévu et comique. Voici, par exemple, au milieu du chapitre consacré à l’année 1775, entre des morceaux sûrement écrits par Mozart durant cette année-là, voici, sous le numéro que lui avait donné l’ « infaillible » Kœchel, un Double Canon dont on nous apprend, aussitôt après, qu’il « a été composé le 24 avril de l’année 1787 ! » Les nouveaux éditeurs se sont bien crus tenus de modifier la date, depuis qu’ils ont découvert la date véritable, inscrite par Mozart lui-même sur l’autographe du canon. Mais quant à modifier la liste de Kœchel, ou même à suggérer d’une manière quelconque au lecteur que la place et le numéro véritables du morceau n’étaient pas ceux que lui avait jadis assignés l’auteur du Catalogue, c’est à quoi ces types parfaits de l’érudit allemand n’ont pas pu se résoudre.

La même vénération obstinée de la « chose imprimée » se retrouve, comme je l’ai dit, dans tous les domaines de la science allemande. Il suffit qu’un livre se soit acquis une certaine autorité pour que chacune de ses affirmations devienne, désormais, quasiment « sacrée : » pour • la déloger de l’usage courant, il faudra un effort comparable à celui que doivent faire nos troupes alliées pour contraindre l’ennemi à sortir des « champignonnières » où il s’est installé. Il y a plus : des affirmations qui d’abord, dans le livre du « maître, » n’avaient été expressément hasardées que comme de simples conjectures, les voilà qui, désormais, se transmettent de main en main avec un caractère de vérité prouvée ; et c’est assez qu’un Jahn ou un Kœchel, par exemple, obligé d’assigner une date probable à un morceau de Mozart, ait timidement classé le morceau aux environs de l’année 1783 pour que, depuis un demi-siècle, tous les autres travaux publiés sur Mozart et toutes les éditions, « classiques » ou « populaires, » du morceau lui-même, nous présentent formellement celui-ci comme ayant été composé en 1783. Le procédé est si constant, si éminemment « national, » que personne n’a pu fréquenter d’un peu près l’érudition allemande sans être amené tôt ou tard à le constater, — à le constater et à en souffrir, car quel moyen de se fier encore, après cela, à des guides qui poussent aussi loin, de leur côté, leur confiance native dans l’absolue infaillibilité de leurs sources ? J’imagine que, parmi les motifs divers de la déception que trahissait, tout à l’heure, le passage cité de la