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des parties d’oeuvres juxtaposées, malgré la diversité de leurs dates, M. Schultz aussi bien que M. Depken l’ont emprunté aux maîtres les plus glorieux de la critique allemande. C’est tout à fait ainsi que, naguère, l’éminent Otto Jahn analysait et jugeait les chefs-d’œuvre de Mozart, ainsi que son confrère Pohl disséquait patiemment les œuvres de Joseph Haydn ; c’est ainsi que procédaient leurs plus illustres rivaux dans les voies, non moins « scientifiques, » de la critique littéraire et de la critique d’art. Au fait, n’avons-nous pas rencontré une méthode toute semblable dans la brochure où M. Curtius, — sans aller, il est vrai, jusqu’à décerner des récompenses, — s’est amusé à réunir côte à côte des opinions émises par Brunetière aux diverses époques de son active « évolution » intérieure ?

Je ne crains pas de l’affirmer : toute cette critique « scientifique » allemande d’aujourd’hui en est restée à ses vieilles routines « scolaires » d’il y a cinquante ans. Elle a beau se vanter complaisamment de sa « méthode, » nous l’offrir à tout propos comme l’une des plus brillantes conquêtes de sa « culture » nouvelle : la vérité est que, depuis l’illustre « professeur » honoraire, membre-correspondant de nos académies, jusqu’à l’humble « jeune docteur » d’Erlangen ou de Greifswald, personne d’outre-Rhin ne conçoit la tâche du critique, — ni celle de l’historien, — autrement que sous les espèces d’un « devoir d’élève » plus ou moins « étoffé, » avec une étroitesse d’horizon, une monotonie d’allures, une banalité invariable de plan et de contours qui feraient honte au dernier « licencié » de notre Sorbonne.


Et tandis que, sous ce rapport de son idéal esthétique et de ses procédés, la science allemande est demeurée immobile depuis un demi-siècle, d’année en année nous l’avons vue porter plus fâcheusement la peine de ce « manque naturel de mesure » que lui reprochait jadis Ernest Renan. Encore n’est-ce pas seulement d’un« manque de mesure » qu’il faudrait parler, mais aussi d’un manque absolu de ce sens profond des « réalités » qui maintient le savant en contact avec l’essence intime des sujets qu’il aborde. Avec toutes les lacunes de sa formation professionnelle, par exemple, un critique allemand d’autrefois n’aurait pas eu l’idée de comparer, comme l’a fait M. Depken, l’œuvre d’Edgar Poe et celle de Gaboriau. Une telle comparaison implique, par soi-même, tout ensemble une faute de goût et une grave erreur. Il existe, dans tous les arts, des différences de « nature » qui rendent d’avance et à jamais impossible toute tentative de comparaison ; et serait-il prouvé que la musique de Mozart